Agent immobilier et mandat : Arrêt de la Cour de cassation, Troisième chambre civile, 11 septembre 2025, Pourvoi n° 23-17.579

Agent immobilier et mandat : Arrêt de la Cour de cassation, Troisième chambre civile, 11 septembre 2025, Pourvoi n° 23-17.579
La troisième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 11 septembre 2025 portant sur la validité du mandat de l'agent immobilier.

I. Rappel des faits

Une agence immobilière, la société Bellecôte immobilier, a été mandatée par deux sociétés du groupe Lavorel (Lavorel hôtels et Lavorel Groupe) en 2016 pour la recherche d’un hôtel et d’un chalet attenant. Les mandats, d'une durée de trois mois chacun, contenaient une clause interdisant aux mandantes de traiter directement avec un vendeur présenté par l'agent pendant une période de douze mois suivant l'expiration desdits mandats. En octobre 2018, soit bien après l'expiration des mandats et de la période d'interdiction contractuelle, les sociétés mandantes ont acquis les biens concernés sans l'intervention de l'agent immobilier.

II. Étapes de la procédure et prétentions des parties

L'agent immobilier (société Bellecôte immobilier) a assigné ses anciennes mandantes (sociétés Lavorel) en paiement des commissions prévues aux mandats, estimant que son entremise avait été déterminante dans la réalisation des acquisitions.
En défense, les sociétés Lavorel ont sollicité l'annulation des mandats pour un vice de forme et, subsidiairement, ont contesté devoir les commissions, l'acquisition ayant eu lieu après l'expiration des délais prévus au contrat.
La cour d'appel de Chambéry, dans un arrêt du 4 avril 2023, a rejeté la demande d'annulation des mandats et a condamné les sociétés Lavorel à payer les commissions. Elle a retenu que l'opération n'avait pu se réaliser que grâce à l'intervention de l'agent immobilier, dont le rôle avait été actif et déterminant.
Les sociétés Lavorel ont alors formé un pourvoi en cassation, articulé en deux moyens. Le premier, rejeté, portait sur la nullité des mandats. Le second, qui a entraîné la cassation, portait sur le droit à commission pour une opération conclue hors des limites temporelles fixées par le contrat.
"La cour d'appel de Chambéry a jugé que l'agent immobilier avait droit à sa commission, peu importe que la vente soit intervenue après l'expiration des mandats et de la période d'interdiction de traiter en direct"

III. Présentation de la thèse opposée à celle de la Cour de cassation

La cour d'appel de Chambéry a jugé que l'agent immobilier avait droit à sa commission, peu importe que la vente soit intervenue après l'expiration des mandats et de la période d'interdiction de traiter en direct. Pour les juges du fond, le seul critère pertinent était le rôle causal et déterminant de l'agent ("entremise et conseils") dans la mise en relation des parties et la réalisation finale du projet d'acquisition. La cour d'appel a ainsi fait prévaloir le fait générateur du droit à commission (l'entremise de l'agent) sur les limites temporelles stipulées au contrat.

IV. Problème de droit

Un agent immobilier peut-il prétendre au paiement de sa commission pour une opération conclue après l'expiration du mandat et de la clause post-contractuelle interdisant au mandant de traiter directement avec le vendeur présenté, au seul motif que son entremise a été déterminante dans la réalisation de ladite opération ?

V. Réponse de la Cour de cassation

Visa : Articles 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 octobre 2016, et 6, I, de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970.
Réponse : La Cour de cassation répond par la négative. Elle casse l'arrêt d'appel pour défaut de base légale.
Elle rappelle que si, en principe, une opération est réputée conclue par l'entremise de l'agent immobilier lorsque le mandant traite directement avec un vendeur qu'il lui a présenté, ce principe ne s'applique qu'« à moins que les parties en conviennent autrement ». En vertu de la force obligatoire du contrat (art. 1134 anc. c. civ.), les stipulations du mandat qui limitent dans le temps l'interdiction de traiter directement avec le vendeur doivent être respectées. En omettant de rechercher si de telles clauses existaient et si l'opération avait été conclue après leur expiration, la cour d'appel n'a pas permis de vérifier si le mandant avait recouvré sa liberté de contracter sans devoir de commission.

Commentaire d'arrêt

L’arrêt rendu par la Troisième chambre civile de la Cour de cassation le 11 septembre 2025 offre un rappel important sur l'articulation entre les dispositions d'ordre public de la loi Hoguet et la force obligatoire du contrat en matière de droit à commission de l'agent immobilier. Si la décision clarifie la portée des clauses limitant les effets du mandat dans le temps (II), elle se prononce également, de manière plus attendue, sur le formalisme du mandat (I).

I. La portée des obligations de l'agent immobilier : entre formalisme assoupli et principe du droit à commission

La Cour de cassation examine en premier lieu la validité des mandats au regard d'un manquement formel (A), avant de poser les bases du principe du droit à commission qui sera ensuite discuté (B).

A. La validité du mandat maintenue malgré une omission formelle : une approche pragmatique

Sur le premier moyen, les sociétés mandantes soutenaient que l'absence de mention du lieu de délivrance de la carte professionnelle sur les mandats devait entraîner leur nullité, conformément à l'article 92 du décret du 20 juillet 1972. La Cour de cassation rejette le moyen et opte pour une solution pragmatique.
Elle rappelle que les dispositions de la loi du 2 janvier 1970 visent à protéger le mandant et à s'assurer de la compétence de l'agent. Or, dès lors qu'il est prouvé que l'agent était bien titulaire d'une carte professionnelle valide à la date des mandats – ce que la cour d'appel avait constaté –, l'omission d'une mention purement informative comme le lieu de délivrance n'est pas de nature à vicier le contrat. La Cour juge que cette omission « n'affecte pas, à elle seule, la validité du mandat ». Cette solution, confirme que le formalisme protecteur de la loi Hoguet ne doit pas conduire à un excès de rigueur lorsque l'objectif de protection du mandant est atteint et qu'aucun grief n'est démontré. La substance (la détention d'une carte valide) l'emporte sur la forme (l'oubli d'une mention).

B. Le droit à commission post-mandat : un principe subordonné à la volonté des parties

Sur le second moyen, qui mène à la cassation, la Cour de cassation rappelle le principe fondamental selon lequel lorsqu'un agent a présenté un vendeur à un acquéreur, et que ce dernier traite ensuite directement avec le premier, l'opération est réputée conclue par l'entremise de l'agent, qui a alors droit à sa commission. Ce mécanisme vise à protéger l'agent contre la fraude des parties qui chercheraient à l'évincer pour économiser ses honoraires.
"la Cour apporte une précision cruciale en introduisant son raisonnement par l'incise « à moins que les parties en conviennent autrement "
Toutefois, la Cour apporte une précision cruciale en introduisant son raisonnement par l'incise « à moins que les parties en conviennent autrement ». Elle fonde cette exception sur l'article 1134 ancien du Code civil, socle de la force obligatoire du contrat. Ce faisant, elle énonce clairement que le principe légal de protection de l'agent n'est pas absolu et peut être aménagé par la volonté des parties. Le droit à commission, même fondé sur une entremise avérée, n'est donc pas intangible et peut être encadré, notamment dans sa durée, par des stipulations contractuelles expresses.

II. La primauté de la force obligatoire du contrat dans la délimitation temporelle des obligations du mandant

La cassation de l'arrêt d'appel repose sur la prééminence des clauses contractuelles limitant le droit à commission dans le temps (A), ce qui conduit la Cour à sanctionner l'insuffisance de motivation des juges du fond (B).

A. La consécration de la clause limitative de durée comme expression de la liberté contractuelle

Le cœur de la décision réside dans l'affirmation que la liberté contractuelle permet aux parties de fixer un terme non seulement au mandat lui-même, mais aussi à ses effets post-contractuels. En l'espèce, les mandats prévoyaient une interdiction pour le mandant de traiter directement avec un vendeur présenté par l'agent pendant douze mois après l'expiration du contrat. Les demanderesses au pourvoi soutenaient, à juste titre, qu'une fois cette période écoulée (en avril et août 2017), elles avaient recouvré leur entière liberté de négocier.
La Cour de cassation valide implicitement ce raisonnement. En visant l'article 1134 du Code civil, elle rappelle que le contrat est la loi des parties. Si les parties ont convenu de limiter à une période définie le droit de l'agent à se prévaloir de son entremise, cette clause doit recevoir pleine application. Au-delà de cette échéance, l'agent ne peut plus réclamer de commission, quand bien même son intervention initiale aurait été déterminante. La solution est logique : la clause a précisément pour objet de définir un équilibre entre la juste rémunération du travail de l'agent et la nécessaire liberté du mandant, qui ne saurait être lié indéfiniment.

B. Le contrôle de la Cour de cassation sur l'office du juge du fond : une obligation de recherche impérative

La cassation est prononcée pour « défaut de base légale ». Ce motif sanctionne la cour d'appel non pas pour avoir mal jugé en droit, mais pour ne pas avoir suffisamment motivé sa décision en fait, privant ainsi la Cour de cassation des éléments nécessaires à son contrôle.
"Ce motif sanctionne la cour d'appel non pas pour avoir mal jugé en droit, mais pour ne pas avoir suffisamment motivé sa décision en fait"
Les juges d'appel s'étaient contentés de constater le rôle causal de l'agent pour lui allouer sa commission, sans examiner l'argumentation des mandantes fondée sur l'expiration de la clause de non-concurrence post-mandat. La Cour de cassation leur reproche de ne pas avoir recherché, « comme il le lui était demandé », si les stipulations des mandats limitaient bien dans le temps le droit à commission. Cet attendu est un rappel méthodologique fort à l'adresse des juges du fond : ils ont l'obligation d'examiner l'ensemble des clauses du contrat et de ne pas écarter un argument pertinent sans y répondre. En l'espèce, la recherche de l'existence et de la portée de cette clause temporelle était une étape indispensable pour déterminer si les mandantes étaient encore tenues par une quelconque obligation envers l'agent au moment de l'acquisition en octobre 2018.

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