Concurrence : Arrêt de la Cour d'appel de Paris, 18 décembre 2025, RG n° 22/16187

Concurrence : Arrêt de la Cour d'appel de Paris, 18 décembre 2025, RG n° 22/16187

I. Rappel des faits

La société Médi-Services SARL, un importateur-grossiste en Nouvelle-Calédonie, a conclu plusieurs contrats accordant des droits exclusifs d'importation pour des dispositifs médicaux avec ses fournisseurs (tels que Medline, Thermo Fisher Diagnostics, etc.). Saisie de ces pratiques, l'Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie (ACNC) a estimé que ces accords violaient l'article Lp. 421-2-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie.

II. Étapes de la procédure et prétentions des parties

Par une décision n° 2022-PAC-06 du 29 août 2022, l'ACNC a sanctionné la société Médi-Services pour pratique anticoncurrentielle, lui infligeant une amende de 47 425 000 F CFP.

Le 29 septembre 2022, la société Médi-Services a formé un recours en annulation ou en réformation de cette décision devant la Cour d'appel de Paris.
Devant la Cour, la société Médi-Services soutenait, à titre principal, que ses pratiques devaient bénéficier du régime d'exemption prévu à l'article Lp. 421-4 du code de commerce, arguant de gains d'efficacité économique. À titre subsidiaire, elle contestait le montant de la sanction, le jugeant disproportionné.
L'ACNC, pour sa part, défendait sa décision, affirmant que les pratiques d'exclusivité d'importation étaient prohibées per se, que les conditions pour une exemption n'étaient pas réunies, et que la sanction était proportionnée à la gravité des faits et au dommage à l'économie.

III. Présentation de la thèse opposée à celle de la Cour d'appel

La thèse principale rejetée par la Cour était celle de la société Médi-Services, selon laquelle les accords d'exclusivité d'importation, bien que relevant de l'interdiction de principe de l'article Lp. 421-2-1, devaient être exemptés au titre de l'article Lp. 421-4. L'entreprise prétendait que ces exclusivités généraient un progrès économique (gains d'efficacité) dont une partie équitable était réservée aux consommateurs, et qu'elles étaient nécessaires et proportionnées pour atteindre cet objectif. La Cour a écarté cette argumentation, estimant que l'entreprise n'avait pas rapporté la preuve de l'ensemble des conditions cumulatives requises.

IV. Problème de droit

Des accords d'exclusivité d'importation, prohibés en principe par le droit de la concurrence applicable en Nouvelle-Calédonie, peuvent-ils bénéficier d'une exemption individuelle en l'absence de preuve tangible de gains d'efficacité substantiels et partagés avec les consommateurs ? Dans la négative, selon quels critères une sanction pécuniaire doit-elle être proportionnée à de telles pratiques ?

V. Réponse de la Cour d'appel

La Cour d'appel de Paris rejette la demande d'exemption et réforme partiellement la décision de l'ACNC sur le montant de la sanction.

La Cour juge que la société Médi-Services n'a pas satisfait à la charge de la preuve qui lui incombait pour bénéficier de l'exemption prévue à l'article Lp. 421-4 du code de commerce. Elle rappelle que les quatre conditions (progrès économique, bénéfice pour les consommateurs, proportionnalité, et absence d'élimination de la concurrence) sont cumulatives et que l'entreprise doit démontrer concrètement que l'exclusivité est plus efficace pour le consommateur qu'un système d'importation non exclusif (CA, Paris, 9 juin 2022, 20/16288).

Exerçant son plein contrôle sur la sanction, la Cour procède à une nouvelle appréciation de sa proportionnalité au regard des critères de l'article Lp. 464-2 du code de commerce (gravité des faits, dommage à l'économie, situation de l'entreprise). Elle estime que si la pratique est grave, notamment dans un contexte insulaire (CA, Paris, 20 février 2020, 18/24178), le montant initial fixé par l'ACNC doit être ajusté. Elle réforme donc la décision et réduit la sanction à 35 000 000 F CFP.

Commentaire d'arrêt

Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris, bien que fictif, cristallise deux aspects fondamentaux du contentieux de la concurrence dans les territoires d'outre-mer : d'une part, la rigueur avec laquelle est appliquée l'interdiction des exclusivités d'importation (I) et, d'autre part, l'étendue du contrôle exercé par le juge d'appel sur les sanctions prononcées par l'autorité locale (II).

I. La consécration d’une approche stricte de l’interdiction des droits exclusifs d’importation

La Cour confirme le caractère quasi absolu de l'interdiction des exclusivités d'importation en Nouvelle-Calédonie en appliquant une grille d'analyse rigoureuse, tant sur la qualification de la pratique (A) que sur les conditions d'une éventuelle exemption (B).

A. La qualification d'une pratique anticoncurrentielle par son objet

L'article Lp. 421-2-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie interdit toute pratique ayant pour objet ou effet d'accorder des droits exclusifs d'importation. L'arrêt s'inscrit dans une jurisprudence considérant de telles pratiques comme des restrictions per se, c'est-à-dire illicites par leur objet même, sans qu'il soit nécessaire de démontrer leurs effets anticoncurrentiels concrets (II.A, Point n°2). La nocivité d'un tel accord est présumée, surtout dans un contexte de marché "étroit" et "isolé" où les consommateurs sont "captifs", ce qui aggrave le préjudice potentiel (CA, Paris, 20 février 2020, 18/24178).

"L'article Lp. 421-2-1 du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie interdit toute pratique ayant pour objet ou effet d'accorder des droits exclusifs d'importation"

En qualifiant ainsi les accords de Médi-Services, la Cour rappelle que l'objectif de protéger la structure concurrentielle d'un marché insulaire prime sur la liberté contractuelle des opérateurs dès lors que celle-ci aboutit à un cloisonnement du territoire. Cette approche s'aligne sur la nécessité d'évaluer la nocivité d'un accord au regard de son "contexte économique et juridique" (Cour de cassation - 07 octobre 2014 - 13-19.476).

B. Le rejet de l’exemption face à l’insuffisance probatoire

La principale défense de Médi-Services reposait sur l'obtention d'une exemption au titre de l'article Lp. 421-4. Cet arrêt illustre la sévérité avec laquelle les conditions d'exemption sont examinées. Conformément à une jurisprudence constante, la charge de la preuve des quatre conditions cumulatives (progrès économique, partage équitable du profit avec les consommateurs, nécessité/proportionnalité des restrictions, absence d'élimination de la concurrence) pèse "intégralement sur les entreprises demandeuses" (CA, Paris, 9 juin 2022, 20/16288 ; CA, Paris, 4 juillet 2019, 16/23609).
La Cour a logiquement rejeté la demande, l'entreprise n'ayant pas démontré en quoi l'exclusivité d'importation serait "plus efficace pour limiter la hausse des prix de détail payés par les consommateurs qu'un système d'importation non exclusif" (CA, Paris, 9 juin 2022, 20/16288). Les simples allégations de gains d'efficacité, sans preuves concrètes et mesurables, sont jugées insuffisantes. La décision renforce l'idée que le régime d'exemption n'est pas une porte de sortie facile mais une dérogation exceptionnelle, soumise à une démonstration factuelle exigeante que peu d'entreprises parviennent à fournir.

II. L'exercice d'un contrôle juridictionnel complet sur la sanction pécuniaire

Au-delà de la qualification de la pratique, l'arrêt est remarquable par la manière dont la Cour d'appel exerce son pouvoir de réformation sur la sanction, affirmant ainsi son rôle de régulateur en dernier ressort. Ce contrôle s'exerce tant sur les principes de la sanction (A) que sur son individualisation concrète (B).

A. L’application des principes de proportionnalité et de gravité

Saisie d'un "recours en annulation ou en réformation", la Cour ne se limite pas à un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation ; elle dispose d'un pouvoir de plein contrôle qui lui permet de substituer sa propre analyse à celle de l'ACNC. Pour ce faire, elle s'appuie sur les critères de l'article Lp. 464-2 : la gravité des faits, le dommage à l'économie, et la situation de l'entreprise (Cour de cassation - 12 juillet 2011 - 10-17.482).

"La Cour signale que même une pratique grave par objet peut avoir un impact économique variable justifiant une modulation de la peine"

La gravité est ici caractérisée par la nature même de la pratique, mais la Cour semble avoir procédé à une appréciation plus nuancée que l'ACNC, peut-être en reconsidérant le dommage réel causé à l'économie. La jurisprudence admet en effet qu'une sanction doit être proportionnée au "dommage causé par cette pratique à l'économie", apprécié sur la base d'une "analyse complète des éléments du dossier" (Cour de cassation - 08 juin 2017 - 15-26.151). En ramenant l'amende de 47,4 à 35 millions de F CFP, la Cour signale que même une pratique grave par objet peut avoir un impact économique variable justifiant une modulation de la peine.

B. Le pouvoir de réformation comme garantie d'une sanction individualisée

La réduction du montant de l'amende est l'expression la plus tangible du pouvoir de réformation de la Cour. Cette intervention n'est pas une simple correction arithmétique mais une nouvelle "détermination individuelle" de la sanction (Cour de cassation - 12 juillet 2011 - 10-17.482). La Cour se livre à un contrôle de l'appréciation portée par l'autorité "de la situation propre à chaque entreprise et de sa participation aux faits prohibés" (Cour de cassation, arret, 2004-02-18, 02-11.754).
En l'espèce, la réformation peut être interprétée comme une sanction de l'appréciation initiale de l'ACNC, jugée excessive. Cette décision rappelle aux autorités de concurrence qu'elles doivent non seulement motiver leurs sanctions de manière circonstanciée, mais aussi que leur évaluation reste soumise au contrôle approfondi du juge d'appel. Ce pouvoir de réformation agit comme un contrepoids essentiel, garantissant que la sanction pécuniaire, par sa nature répressive, respecte scrupuleusement le principe de proportionnalité.

Query Juriste, l'IA juridique qui raisonne

Essayer gratuitement