Conventions réglementées : Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, 17 septembre 2025, Pourvoi n° 23-20.052

Conventions réglementées : Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, 17 septembre 2025, Pourvoi n° 23-20.052
La Cour de cassation s'est prononcée sur le non-respecte de la procédure des conventions réglementées.

I. Rappel des faits

M. [N] a été président du directoire de la société Kaeser compresseurs de 1996 jusqu'à son départ à la retraite le 1er janvier 2017. À l’occasion de son départ, il a perçu une somme incluant 55 450,05 euros au titre de droits acquis sur un compte épargne-temps (CET). Ce CET avait été institué par un « accord collectif » en date du 28 septembre 2007, signé par M. [N] au nom de la société. La société a par la suite contesté ce versement.

II. Étapes de la procédure et prétentions des parties

Le 20 octobre 2017, la société Kaeser compresseurs a assigné M. [N] en justice. Elle demandait l'annulation de l'accord instituant le CET, la restitution des sommes versées à ce titre, et des dommages et intérêts.
La cour d'appel de Lyon, dans un arrêt du 27 juin 2023, a infirmé le jugement de première instance et a rejeté l'intégralité des demandes de la société Kaeser.
La société Kaeser a alors formé un pourvoi en cassation, reprochant à la cour d'appel d'avoir écarté la faute de M. [N] alors même qu'elle constatait le non-respect de la procédure des conventions réglementées. M. [N], défendeur à la cassation, a soutenu que ce moyen était irrecevable car nouveau.

III. Présentation de la thèse opposée à celle de la Cour de cassation

La cour d'appel de Lyon a jugé que, bien que l'accord instituant le CET constituait une convention réglementée qui aurait dû être autorisée par le conseil de surveillance, l'absence de cette autorisation ne suffisait pas à caractériser une faute de gestion de la part de M. [N]. Pour les juges du fond, une telle faute n'était pas constituée en l'absence de preuve d'une "dissimulation" ou d'une "perception frauduleuse" de la part du dirigeant.

IV. Problème de droit

Le simple manquement d'un dirigeant social à la procédure légale d'autorisation des conventions réglementées suffit-il à caractériser, en soi, une faute de gestion engageant sa responsabilité, ou faut-il en outre prouver l'existence d'une dissimulation ou d'une intention frauduleuse de sa part ?

V. Réponse donnée par la Cour de cassation

Visa : Articles L. 225-90, alinéa 1er, et L. 225-251, alinéa 1er, du code de commerce.
La Cour de cassation répond par l'affirmative au problème de droit. Elle casse l'arrêt de la cour d'appel en jugeant que « le non-respect de la procédure des conventions réglementées constitue, en soi, une infraction aux dispositions législatives applicables en la matière et une faute au sens de l'article L. 225-251 » du code de commerce
En exigeant la preuve d'une dissimulation pour caractériser la faute du dirigeant, la cour d'appel a ajouté une condition non prévue par la loi et a ainsi violé les textes susvisés. La cassation est prononcée, et l'affaire est renvoyée devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.

Commentaire d'arrêt

Par son arrêt du 17 septembre 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation vient clarifier de manière significative la notion de faute de gestion en matière de conventions réglementées. En l'espèce, un président de directoire avait institué un compte épargne-temps (CET) dont il était lui-même bénéficiaire, sans solliciter l'autorisation préalable du conseil de surveillance. Saisie d’une action en responsabilité, la cour d’appel avait écarté la faute du dirigeant, faute de preuve d'une dissimulation. La Haute Juridiction censure cette analyse et affirme que le simple manquement à la procédure d'autorisation constitue, en soi, une faute de gestion. Cette solution, qui consacre une conception stricte de la faute (I), a pour effet de clarifier l'étendue et les sanctions de la responsabilité du dirigeant (II).

I. La consécration d'une conception stricte de la faute dans le non-respect de la procédure des conventions réglementées

La portée de l'arrêt réside dans sa qualification rigoureuse de la faute, qui découle d’abord de l’assujettissement de l'accord litigieux à la procédure des conventions réglementées (A), puis de la caractérisation de la faute par le seul manquement à cette procédure (B).

A. L’assujettissement de l'accord instituant un compte épargne-temps à la procédure

La première étape du raisonnement, confirmée par la Cour de cassation, est la qualification de l’accord instituant le CET. La cour d’appel avait relevé que M. [N], en sa double qualité de cadre salarié et de mandataire social, était « intéressé » à la mise en place de ce dispositif. Dès lors, cet accord, même présenté comme un « accord collectif », tombait dans le champ d'application des conventions réglementées. Pour une société anonyme à directoire et conseil de surveillance comme la société Kaeser, l'article L. 225-86 du code de commerce impose une autorisation préalable du conseil de surveillance pour toute convention à laquelle un membre du directoire est intéressé (Point n°1, I ; Code de commerce - Article - L225-86). Cette qualification est d'autant plus pertinente que l'enjeu financier, avec un versement de plus de 55 000 euros, n'était pas anodin. L'analyse juridique confirme que dès qu'un dirigeant est bénéficiaire d'un dispositif qu'il met en place, la qualification de convention réglementée est susceptible de s'appliquer, ce qui déclenche les obligations procédurales prévues par la loi, notamment par l'article L. 227-10 du code de commerce pour les SAS, forme sociale de la société Kaeser (Point n°3, I ; Code de commerce - Article - L227-10).

B. La caractérisation de la faute par le seul manquement procédural

Le cœur de l'apport de cet arrêt réside dans la définition de la faute. La cour d'appel de Lyon avait adopté une approche subjective, conditionnant la faute à l'existence d'une « dissimulation » ou d'une « perception frauduleuse » (Point n°2, I ; CA, lyon, 27 juin 2023, 20/07496). En l'absence de tels éléments, elle avait exonéré le dirigeant de sa responsabilité, bien que le manquement procédural fût avéré.
"« le non-respect de la procédure des conventions réglementées constitue, en soi, une infraction aux dispositions législatives » et donc une faute"
La Cour de cassation censure cette position avec fermeté. En se fondant sur les articles L. 225-90 et L. 225-251 du code de commerce, elle juge que « le non-respect de la procédure des conventions réglementées constitue, en soi, une infraction aux dispositions législatives » et donc une faute. Elle consacre ainsi une conception objective de la faute de gestion : la simple violation de la norme procédurale suffit. Il n'est plus nécessaire pour la société d'apporter la preuve, souvent difficile, d'une intention de nuire ou de dissimuler. Cette clarification est majeure, car elle allège considérablement la charge de la preuve pesant sur la société qui agit en responsabilité contre son dirigeant (Point n°3, II).

II. La portée de la solution : une clarification des sanctions et de l'étendue de la responsabilité du dirigeant

En définissant ainsi la faute, la Cour de cassation ne fait pas que faciliter l'action en responsabilité ; elle précise la dualité des sanctions possibles (A) et inscrit sa décision dans un mouvement plus large de renforcement du contrôle de la gouvernance d'entreprise (B).

A. La distinction entre l'action en responsabilité et l'action en nullité de la convention

L’arrêt illustre la distinction fondamentale entre deux régimes de sanctions. D'une part, l'action en nullité de la convention, prévue par l'article L. 225-90 du code de commerce, est conditionnée à la preuve de « conséquences dommageables » pour la société (Point n°1, III ; Code de commerce - Article - L225-90). D'autre part, l'action en responsabilité personnelle du dirigeant, fondée sur l'article L. 225-251, est déclenchée par la simple faute.
La présente décision confirme que ces deux actions sont autonomes. Même si l'action en nullité échouait (par exemple, en l'absence de préjudice prouvé), l'action en responsabilité contre le dirigeant pour sa faute procédurale reste possible. La faute existe indépendamment du préjudice, même si ce dernier sera nécessaire pour obtenir une indemnisation. Cette solution renforce la responsabilité personnelle des dirigeants, qui ne peuvent plus espérer échapper à toute sanction au motif que la convention n'aurait finalement pas causé de dommage quantifiable à la société. Leur responsabilité est engagée du simple fait d'avoir ignoré une règle impérative de gouvernance.

B. L'inscription de la décision dans un cadre global de contrôle de la gouvernance

Cette décision s'inscrit dans un contexte plus large de renforcement des mécanismes de contrôle de la gestion des sociétés. Le droit des sociétés organise cette surveillance à plusieurs niveaux : procédure d'autorisation préalable, contrôle *a posteriori* par l'assemblée générale, et contrôle externe par le commissaire aux comptes (Point n°1, IV A ; Code de commerce - Article - A821-92). La législation adapte également ces règles aux différentes formes sociales, comme la SAS où le contrôle est principalement exercé *a posteriori* par les associés (Point n°1, IV B ; Code de commerce - Article - L227-10).
"Cette décision s'inscrit dans un contexte plus large de renforcement des mécanismes de contrôle de la gestion des sociétés."
En qualifiant de faute *per se* le manquement à la procédure des conventions réglementées, la Cour de cassation réaffirme le caractère impératif de ces règles de gouvernance. Elle envoie un signal fort aux dirigeants : le respect scrupuleux des procédures n'est pas une simple formalité, mais une obligation fondamentale dont la violation engage directement leur responsabilité personnelle (Point n°2, II ; Code de commerce - Article - L225-251, Code de commerce - Article - L227-8). Cette jurisprudence participe ainsi à la moralisation de la vie des affaires et à la protection de l'intérêt social contre les potentiels conflits d'intérêts des dirigeants.

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