Copropriété : Arrêt de la Cour de cassation, troisième chambre civile, 16 octobre 2025, Pourvoi n° 23-19.843

I. Rappel des faits
Des copropriétaires (M. [X] et Mme [Z]) ont assigné leurs voisins (les consorts [B]), propriétaires d’un appartement dans le même immeuble, en indemnisation. Ils leur reprochent un trouble de jouissance causé par la mise à disposition de leur lot à une clientèle de passage dans le cadre de locations meublées de courte durée.
II. Étapes de la procédure et prétentions des parties
Les demandeurs initiaux, M. [X] et Mme [Z], ont saisi une juridiction du premier degré, puis l'affaire a été portée devant la cour d’appel de Grenoble. Par un arrêt du 23 mai 2023, celle-ci a accueilli leur demande.
Les consorts [B], défendeurs, ont alors formé un pourvoi en cassation. Ils soutenaient, dans leur premier moyen, que l’action de leurs voisins aurait dû être déclarée irrecevable. Selon eux, l’article 15 de la loi du 10 juillet 1965 impose au copropriétaire qui agit seul d’en informer le syndic, cette formalité constituant une condition de recevabilité de la demande. La cour d’appel ayant jugé le contraire, ils prétendaient qu’elle avait violé ledit article.
III. Présentation de la thèse opposée à celle de la Cour de cassation
La thèse des demandeurs au pourvoi (les consorts [B]) consistait à affirmer que l'obligation d'information du syndic, prévue par l'article 15 de la loi du 10 juillet 1965, n'est pas une simple formalité mais une condition de recevabilité de l'action individuelle d'un copropriétaire. En conséquence, son non-respect devait être sanctionné par une fin de non-recevoir, empêchant le juge d'examiner l'affaire au fond.
IV. Problème de droit
Le manquement d'un copropriétaire à l'obligation d'informer le syndic de l'exercice d'une action individuelle concernant la jouissance de son lot, prévue à l'article 15 de la loi du 10 juillet 1965, est-il sanctionné par l'irrecevabilité de sa demande ?
V. Réponse donnée par la Cour
La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle juge que la cour d'appel a énoncé « à bon droit » que si le copropriétaire agissant seul doit informer le syndic en application de l'article 15 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, cette formalité n'est pas requise à peine d'irrecevabilité de la demande. Elle confirme ainsi que le non-respect de cette obligation d'information n'est pas une cause d'irrecevabilité de l'action.
Commentaire d'arrêt
L’arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 16 octobre 2025 apporte une clarification importante sur les conditions d'exercice de l'action individuelle d'un copropriétaire. En l'espèce, des copropriétaires agissant en indemnisation d'un trouble de jouissance lié à des locations de courte durée se voyaient opposer l'irrecevabilité de leur action pour défaut d'information préalable du syndic. En rejetant le pourvoi, la Cour de cassation confirme que cette formalité, bien qu'obligatoire, n'est pas une condition de recevabilité de la demande.
Cette décision s'inscrit dans une ligne jurisprudentielle pragmatique et réaffirme une interprétation souple des formalités procédurales en droit de la copropriété. Elle mérite d'être analysée tant pour la confirmation du principe qu'elle opère (I) que pour la portée de cette solution dans le contexte plus large des litiges en copropriété (II).
I. La confirmation d'une interprétation souple des formalités de l'action individuelle
La Cour de cassation consolide une solution classique en refusant de faire d'une obligation d'information une condition de recevabilité (A), favorisant ainsi l'exercice effectif des droits individuels du copropriétaire (B).
A. La réaffirmation du caractère non dirimant de l'obligation d'information du syndic
Le moyen du pourvoi reposait sur une lecture stricte de l'article 15 de la loi du 10 juillet 1965, qui dispose que le copropriétaire agissant seul pour la défense de son lot doit en informer le syndic. Les demandeurs au pourvoi tentaient de faire de cette obligation une condition de recevabilité de l'action, dont le non-respect aurait dû entraîner le rejet de la demande sans examen au fond, conformément à l'article 122 du Code de procédure civile
"La Cour confirme que l'absence de sanction expresse dans la loi empêche de transformer cette obligation en une fin de non-recevoir"
La Cour de cassation écarte cette argumentation sans ambiguïté. En affirmant que la cour d'appel a jugé « à bon droit » que cette formalité n'était pas prescrite « à peine d'irrecevabilité », elle confirme que l'absence de sanction expresse dans la loi empêche de transformer cette obligation en une fin de non-recevoir. Cette solution est cohérente avec l'état du droit, notamment depuis la réforme de 2019 qui n'a pas assorti cette obligation d'une telle sanction. La Cour refuse ainsi de créer une irrecevabilité là où le législateur n'en a pas prévu, s'en tenant à une interprétation littérale des conditions de recevabilité, même si l'article 124 du Code de procédure civile autorise en théorie à accueillir une irrecevabilité sans disposition expresse.
B. Une solution garantissant l'effectivité du droit d'agir du copropriétaire
"En refusant de sanctionner par l'irrecevabilité le défaut d'information du syndic, la Haute Juridiction protège l'accès au juge pour le copropriétaire"
En refusant de sanctionner par l'irrecevabilité le défaut d'information du syndic, la Haute Juridiction protège l'accès au juge pour le copropriétaire. Eriger cette formalité en condition de recevabilité aurait créé un obstacle procédural potentiellement lourd de conséquences, susceptible de priver un copropriétaire de la possibilité de défendre la jouissance de son lot pour un simple oubli.
Cette approche pragmatique distingue la finalité de l'information due au syndic – qui vise à la bonne administration de l'immeuble et à une potentielle coordination – de celle d'autres formalités dont le respect est, lui, crucial. Par exemple, l'obligation de mettre en cause le syndicat des copropriétaires dans une action visant la remise en état des parties communes peut entraîner la nullité de la procédure (Cour de cassation - 08 juillet 2015 - 14-16.975). De même, le droit d'installer des bornes de recharge est conditionné à une notification stricte, dont le non-respect peut faire obstacle au projet (Code de la construction et de l'habitation - Article - L113-16). La solution retenue ici montre que la sanction d'une formalité est proportionnée à l'objectif poursuivi par le texte qui l'impose.
II. La portée de la solution dans le contexte des litiges en copropriété
Au-delà de son apport procédural, cet arrêt s'inscrit dans un contexte factuel précis, celui des nuisances liées aux locations de courte durée (A), et permet de rappeler la spécificité de chaque obligation d'information en droit immobilier (B).
A. Une règle procédurale facilitant la lutte contre les troubles de jouissance
Le litige à l'origine de cette décision est emblématique des tensions actuelles au sein des copropriétés : le trouble de jouissance généré par des locations meublées de courte durée. La jurisprudence tend de plus en plus à sanctionner ces pratiques lorsqu'elles s'apparentent à une activité commerciale contraire à la destination de l'immeuble et génèrent des nuisances (CA, aix_provence, arret, 2024-11-21, 24/00141). L'arrêt de la cour d'appel de Grenoble du 23 mai 2023, ici validé par la Cour de cassation, avait d'ailleurs reconnu l'existence d'un trouble et alloué des dommages et intérêts (CA, grenoble, 23 mai 2023, 21/03445).
En confirmant la recevabilité de l'action malgré le défaut d'information du syndic, la Cour de cassation facilite l'action des copropriétaires qui subissent ces nuisances. La solution clarifie que les débats doivent se concentrer sur le fond du droit – l'existence et la preuve du trouble anormal de voisinage – plutôt que sur des questions de pure forme procédurale. Cette règle s'applique d'ailleurs à d'autres types de troubles, comme l'a illustré une cour d'appel dans une affaire de survol par une grue de chantier (CA, aix_provence, 26 janvier 2023, 22/11036).
B. Une illustration de la diversité des obligations d'information et de leurs sanctions
Cet arrêt est l'occasion de rappeler que le droit de la copropriété et de la construction est irrigué par de multiples obligations d'information, dont les régimes et sanctions varient. Si celle de l'article 15 de la loi de 1965 n'est pas sanctionnée par l'irrecevabilité, d'autres sont bien plus contraignantes.
"les obligations d'information précontractuelle à la charge du vendeur d'un lot de copropriété, sont essentielles à la protection de l'acquéreur"
Par exemple, les obligations d'information précontractuelle à la charge du vendeur d'un lot de copropriété, prévues à l'article L. 721-1 du Code de la construction et de l'habitation, sont essentielles à la protection de l'acquéreur. De même, les notifications prévues en matière d'installation de bornes de recharge pour véhicules électriques sont assorties d'un délai de forclusion pour que le syndicat puisse s'y opposer (Code de la construction et de l'habitation - Article - R113-8). La solution de l'arrêt du 16 octobre 2025 souligne donc qu'il n'existe pas de principe général unifiant la sanction de toutes les obligations d'information ; chaque texte doit être analysé au regard de sa finalité propre. L'information due au syndic au titre de l'article 15 est une mesure de bonne administration interne, dont la sanction ne saurait être la privation du droit d'agir en justice.