Fiscalité internationale : Arrêt la Cour de cassation, chambre commerciale, 17 septembre 2025, pourvoi n° 23-10.403

Fiscalité internationale : Arrêt la Cour de cassation, chambre commerciale, 17 septembre 2025, pourvoi n° 23-10.403
Le 17 septembre 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation s'est prononcée sur la question du dispositif de taxation d'office des avoirs non justifiés sur un compte étranger.

I. Rappel des faits

Sur la base d'informations transmises par un procureur de la République, l'administration fiscale a soupçonné M. [H] d'être titulaire de comptes bancaires non déclarés en Suisse. Le 3 février 2014, elle l'a interrogé sur le fondement de l'article L. 23 C du livre des procédures fiscales (LPF) afin qu'il justifie l'origine et les modalités d'acquisition des avoirs détenus sur ces comptes entre novembre 2005 et février 2007. En l'absence de réponse jugée satisfaisante, l'administration a, par une proposition de rectification du 6 novembre 2015, procédé à une taxation d'office de ces avoirs aux droits de mutation à titre gratuit, conformément aux articles L. 71 LPF et 755 du code général des impôts (CGI).

II. Étapes de la procédure et prétentions des parties

Après la mise en recouvrement des droits le 8 août 2016 et le rejet de sa réclamation contentieuse, M. [H] a saisi la justice pour obtenir la décharge des impositions.
Débouté par la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 7 novembre 2022, M. [H] a formé un pourvoi en cassation. Il soutenait principalement que la cour d'appel avait commis une erreur de droit. Selon lui, le fait générateur de l'imposition prévue à l'article 755 du CGI ne pouvait être que la détention des avoirs non déclarés, et non son absence de réponse à l'administration. En fixant le point de départ de la prescription à la date de son manquement à l'obligation de réponse (le 4 avril 2014), la cour d'appel aurait, selon lui, consacré un mécanisme créant une imprescriptibilité de fait, en violation du principe de sécurité juridique et de la liberté de circulation des capitaux garantie par l'article 63 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

III. Présentation de la thèse opposée à celle de la Cour de cassation

La thèse du demandeur au pourvoi, rejetée par la Cour de cassation, consistait à affirmer que le fait générateur de l'imposition des avoirs non déclarés est matériel (la détention desdits avoirs) et non procédural (l'absence de réponse à une demande de l'administration). En conséquence, le délai de prescription du droit de reprise de l'administration aurait dû courir à compter de la date d'acquisition des avoirs. La solution inverse, qui ancre le point de départ de la prescription à un événement procédural potentiellement très postérieur (l'expiration du délai de réponse), aurait pour effet de rendre l'action de l'administration imprescriptible, ce qui serait disproportionné et contraire au principe de sécurité juridique et à la liberté de circulation des capitaux.

IV. Problème de droit

Le dispositif de taxation d'office des avoirs non justifiés sur un compte étranger, qui fixe le point de départ du délai de prescription à l'expiration du délai de réponse du contribuable à une demande de l'administration, est-il compatible avec le principe de sécurité juridique et la liberté de circulation des capitaux garantis par le droit de l'Union européenne ?

V. Réponse de la Cour de cassation

La Cour de cassation répond par l'affirmative et rejette le pourvoi. Elle reconnaît que le dispositif constitue une restriction à la liberté de circulation des capitaux. Toutefois, elle juge cette restriction :
1. Justifiée par un objectif d'intérêt général : la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales (§ 21, 22).
2. Propre à atteindre cet objectif, compte tenu de la difficulté pour l'administration d'obtenir des informations sur les avoirs à l'étranger (§ 23).
3. Proportionnée et respectueuse du principe de sécurité juridique. La Cour écarte le grief d'imprescriptibilité en soulignant que le mécanisme est doublement encadré dans le temps : d'une part, la procédure ne peut être initiée qu'en cas de manquement déclaratif au cours des dix années précédentes (§ 25) ; d'autre part, le droit de reprise est lui-même soumis à un délai de prescription de dix ans à compter d'un point de départ certain, à savoir l'expiration des délais de réponse (§ 26).
Enfin, la Cour relève que la proportionnalité est assurée par la possibilité pour le contribuable de faire échec à la taxation d'office en justifiant l'origine de ses avoirs, auquel cas il ne relève que du régime de prescription initialement applicable (§ 27). Le dispositif n'est donc pas jugé incompatible avec le droit de l'Union.

Commentaire d'arrêt

L’arrêt rendu le 17 septembre 2025 par la chambre commerciale de la Cour de cassation apporte une clarification attendue sur la conventionalité du dispositif de taxation d’office des avoirs détenus sur des comptes non déclarés à l’étranger. En rejetant le pourvoi d’un contribuable qui dénonçait un mécanisme créant une imprescriptibilité de fait, la Haute Juridiction valide un outil majeur de la lutte contre l’évasion fiscale, tout en le soumettant aux exigences de la proportionnalité issues du droit de l’Union européenne. Elle confirme ainsi la légitimité d'un régime dérogatoire (I), dont elle délimite la portée par un contrôle de proportionnalité rigoureux (II).

I. La confirmation d'un dispositif dérogatoire justifié par la lutte contre la fraude fiscale

La Cour de cassation consacre une solution qui ancre fermement le régime de taxation de l’article 755 du CGI dans une logique procédurale (A), tout en justifiant la restriction aux libertés fondamentales qui en découle (B).

A. La consécration d’un fait générateur procédural

Au cœur du litige se trouvait la détermination du fait générateur de l’imposition. Pour le demandeur, celui-ci ne pouvait être que la détention supposée des avoirs, événement matériel potentiellement ancien et prescrit. La Cour de cassation balaye cet argument et confirme une solution déjà esquissée dans une décision antérieure (Com., 16 décembre 2020, pourvoi n° 18-16.801, cité au § 15) : le fait générateur de l'imposition prévue à l'article 755 du CGI est l'expiration des délais de réponse accordés au contribuable dans le cadre de la procédure de l'article L. 23 C du LPF (§ 15).
"Cette solution est lourde de conséquences. Elle déconnecte la naissance de la créance fiscale de l’événement économique initial (l’acquisition des avoirs) pour l’attacher à un manquement procédural du contribuable."
Cette solution est lourde de conséquences. Elle déconnecte la naissance de la créance fiscale de l’événement économique initial (l’acquisition des avoirs) pour l’attacher à un manquement procédural du contribuable. Ce faisant, elle permet à l’administration de taxer des avoirs dont l'origine remonte à une période pour laquelle le droit de reprise de droit commun serait éteint. La Cour valide ainsi un mécanisme qui fait de l'opacité entretenue par le contribuable le véritable fait imposable.

B. La justification de la restriction à la liberté de circulation des capitaux

Consciente du caractère dérogatoire de ce régime, la Cour de cassation procède à un contrôle de conventionnalité en deux temps. Elle admet sans détour que les obligations déclaratives spécifiques aux comptes étrangers (§ 18) et le délai de prescription allongé (§ 19) constituent ensemble « une restriction à la liberté de circulation des capitaux » (§ 20), car ils sont de nature à dissuader l'investissement hors de France.
"la Cour de justice de l’Union européenne rappelle que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales constitue une « raison impérieuse d’intérêt général »"
Cependant, elle juge cette restriction justifiée. Reprenant une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), elle rappelle que la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales constitue une « raison impérieuse d’intérêt général » (§ 22) et un objectif à valeur constitutionnelle (§ 21) susceptibles de légitimer une telle atteinte. Le dispositif est par ailleurs jugé apte à atteindre cet objectif (§ 23), l'administration disposant de moins d'informations sur les avoirs à l'étranger malgré les mécanismes d'échange. La Cour établit ainsi solidement la légitimité du dispositif, avant d'en contrôler la juste mesure.

II. Un dispositif validé à l'aune d'un contrôle de proportionnalité strict

La validation du mécanisme n'est pas un blanc-seing. La Cour de cassation prend soin de démontrer que le dispositif français ne tombe pas sous le coup des critiques adressées par la CJUE à d'autres législations nationales, en ce qu'il est à la fois encadré dans le temps (A) et qu'il préserve les droits du contribuable (B).

A. L'encadrement temporel de l'action administrative, rempart contre l'imprescriptibilité

Face à l’argument central du pourvoi, qui dénonçait un effet d’imprescriptibilité contraire au principe de sécurité juridique (§ 9, 24), la Cour oppose une analyse factuelle précise du mécanisme. Elle démontre que l'action de l'administration n'est pas illimitée dans le temps.
D'une part, la procédure de demande de justification de l’article L. 23 C LPF ne peut être engagée que si le contribuable a manqué à son obligation de déclaration « au moins une fois au titre des dix années précédentes » (§ 25). Cette condition d'antériorité limite le champ d'application de la mesure. D'autre part, et surtout, une fois le fait générateur procédural constitué, le droit de reprise de l'administration est lui-même enfermé dans un délai de prescription décennal (§ 26). Le dispositif n’institue donc pas, contrairement à ce qui était allégué, une faculté d'imposition perpétuelle, mais un régime de prescription dérogatoire, certes long, mais borné et prévisible. Cette construction permet à la Cour de distinguer le cas français du régime espagnol, sanctionné par la CJUE pour son caractère imprescriptible (CJUE, 27 janvier 2022, *Commission c/ Espagne*, C-788/19, cité au § 9).

B. La présomption réfragable, garantie essentielle de la proportionnalité

L'ultime gage de proportionnalité du dispositif réside, selon la Cour, dans le caractère réfragable de la présomption de l'article 755 du CGI. La taxation d'office à 60 % n'est pas une fatalité. Le paragraphe 27 de l'arrêt est à cet égard fondamental : la Cour souligne que le contribuable qui justifie de l’origine de ses avoirs échappe à cette taxation.
" la Cour souligne que le contribuable qui justifie de l’origine de ses avoirs échappe à cette taxation"
Dans ce cas, il ne retombe pas dans le néant fiscal, mais reste soumis au régime d'imposition (et de prescription) qui aurait dû s'appliquer aux revenus ou mutations initiales. Cette "porte de sortie" est essentielle : elle prouve que le but de la loi n'est pas de sanctionner pour sanctionner, mais d'inciter puissamment à la transparence. Le contribuable conserve la maîtrise de son sort fiscal, à condition de coopérer. C’est cette possibilité de renverser la présomption en apportant la preuve contraire (§ 13, 27) qui achève de convaincre la Cour de la proportionnalité du régime et de sa compatibilité avec le droit de l’Union européenne. L’arrêt valide ainsi un équilibre subtil entre l'efficacité de la lutte contre la fraude et le respect des garanties fondamentales du contribuable.

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