Garanties et pénalités fiscales : Arrêt du Tribunal administratif de Rouen, 18 novembre 2025, 2305065

I. Rappel des faits
Des contribuables personnes physiques ont fait l’objet de plusieurs propositions de rectification entre 2013 et 2018, aboutissant à des rappels d’impôt sur le revenu pour les années 2008 à 2016. Ces redressements portaient notamment sur des revenus qualifiés de distributions de la société NMA Benelux et des jetons de présence.
L’administration fiscale a assorti ces rappels de plusieurs pénalités :
- Une majoration de 25 % pour non-adhésion à un organisme de gestion agréé, sur le fondement de l’article 158, 7, 1° du Code général des impôts (CGI).
- Des majorations de 80 % pour manœuvres frauduleuses (art. 1729 CGI) ou pour activité occulte (art. 1728 c CGI).
Les contribuables avaient préalablement fait l'objet d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle (ESFP) portant sur les années 2013 et 2014. Postérieurement à l'introduction du recours, l'administration a prononcé un dégrèvement partiel en 2024 concernant la majoration de 25 %.
II. Étapes de la procédure et prétentions des parties
Les contribuables ont saisi le Tribunal administratif de Rouen d'une requête visant à obtenir la décharge des impositions et pénalités restant à leur charge.
- Prétentions des requérants (les contribuables) :
- Sur la procédure : Ils soutiennent que les nouveaux redressements sont irréguliers, l'administration ne pouvant procéder à de nouvelles rectifications après la clôture d'un ESFP, en application de la garantie prévue à l'article L. 50 du Livre des procédures fiscales (LPF).
- Sur le fond : Ils contestent la localisation du siège social de la société NMA Benelux et le caractère français des revenus perçus après le 1er avril 2016.
- Sur les pénalités : Ils invoquent le principe de personnalité des peines et contestent la qualification de manœuvre frauduleuse.
- Prétentions du défendeur (l’administration fiscale) :
L'administration fiscale a justifié les rehaussements et l'application des pénalités, tout en tenant compte du dégrèvement partiel déjà accordé.
III. Problème de droit
Le Tribunal administratif était saisi des questions suivantes :
1. L’administration fiscale peut-elle, sans méconnaître la garantie prévue à l’article L. 50 du LPF, procéder à de nouveaux redressements d'imposition sur une période ayant déjà fait l'objet d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle ?
2. Les éléments du dossier permettent-ils de caractériser l'existence d'une activité occulte ou de manœuvres frauduleuses justifiant l'application d'une majoration de 80 % ?
IV. Réponse du Tribunal administratif
Le Tribunal administratif de Rouen a accordé une satisfaction partielle aux requérants. Il a prononcé la décharge de certaines impositions ou pénalités, maintenant les autres. Les informations fournies ne permettent pas de détailler précisément quelles impositions et pénalités ont été annulées et sur quel fondement exact.
Commentaire d'arrêt
Le jugement rendu par le Tribunal administratif de Rouen le 18 novembre 2025 offre une illustration des tensions entre les garanties procédurales offertes au contribuable et les prérogatives de contrôle de l'administration fiscale, notamment en matière de sanctions. Si la décision apporte une réponse nuancée en accordant une décharge partielle, elle soulève des questions tant sur le respect des garanties encadrant les contrôles successifs (I) que sur la justification des lourdes pénalités appliquées dans un contexte international (II).
I. Le contrôle juridictionnel des garanties procédurales face aux prérogatives de l'administration
Le litige met en lumière l’importance de la garantie contre les vérifications répétées, tout en rappelant les facultés dont dispose l’administration pour assurer l'application de la loi fiscale.
A. La réaffirmation de la garantie contre les contrôles successifs comme protection centrale du contribuable
Le moyen principal des requérants reposait sur l'article L. 50 du LPF, qui interdit en principe à l'administration de renouveler un contrôle pour la même période et le même impôt. Bien que les documents fournis ne détaillent pas l'application qu'en a fait le tribunal dans ce cas précis, l'invocation de cette garantie est centrale. Elle vise à protéger le contribuable contre une insécurité juridique permanente.
Cette protection s'inscrit dans un ensemble de garanties procédurales, comme l'obligation pour l'administration d'informer le contribuable des motifs d'une sanction et de lui permettre de présenter ses observations avant sa mise en recouvrement, notamment lorsque celle-ci repose sur une appréciation de son comportement (Conseil d'État, 9ème chambre, 25/03/2020, 421830, Inédit au recueil Lebon). La solution partielle du tribunal suggère que cette garantie a pu être jugée applicable pour une partie des redressements, conduisant à leur annulation.
B. Les limites de la garantie et la flexibilité des prérogatives administratives
La protection de l'article L. 50 du LPF n'est pas absolue ; elle cède notamment lorsque le contribuable a fourni des informations incomplètes ou inexactes lors du premier contrôle. De plus, l'administration conserve une certaine flexibilité, même en cours de contentieux. Il lui est ainsi possible de substituer le fondement juridique d'une pénalité, à condition de ne pas priver le contribuable d'une garantie et de s'appuyer sur les faits initialement invoqués (Conseil d'Etat, Décision, 2022-06-23, 446656).
"La protection de l'article L. 50 du LPF n'est pas absolue ; elle cède notamment lorsque le contribuable a fourni des informations incomplètes ou inexactes lors du premier contrôle"
Cette prérogative illustre que l'objectif de l'administration reste la répression d'un manquement, même si sa qualification juridique initiale est erronée. La décision du tribunal, en ne prononçant qu'une décharge *partielle*, a vraisemblablement validé une partie des redressements, considérant soit que les exceptions à la garantie de l'article L. 50 étaient remplies, soit que d'autres manquements, non couverts par la garantie, étaient avérés.
II. L'appréciation rigoureuse de la qualification des revenus et des sanctions fiscales
Le jugement s’attache également à vérifier le bien-fondé des qualifications retenues par l'administration, tant pour l'assiette de l'impôt que pour la nature des pénalités, dans un contexte international complexe.
A. La qualification des revenus et de l'activité à l'épreuve du contexte international
Le litige portant sur des distributions d'une société "NMA Benelux", la qualification des revenus et la territorialité de l'impôt étaient au cœur des débats. La jurisprudence montre que des flux financiers entre entités liées peuvent être requalifiés en distributions occultes imposables (CE, 28 juillet 2025, 494062). De même, la notion d'activité occulte, justifiant l'application de la majoration de 80 % (art. 1728 c CGI), est appréciée de manière stricte. L'administration est réputée en apporter la preuve si le contribuable n'a ni déclaré son activité ni ne s'est fait connaître, à moins d'une erreur excusable (Conseil d'Etat, Décision, 2023-07-05, 470936, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 22/11/2019, 429286, Inédit au recueil Lebon).
Dans ce cas, le tribunal a dû analyser si les activités liées à la société NMA Benelux, bien que potentiellement connues sous certains aspects, n'avaient pas été dissimulées au fisc français, justifiant ainsi la qualification d'activité occulte pour une partie des revenus.
B. La nécessaire proportionnalité et justification des pénalités pour manquement intentionnel
Le tribunal a également dû se prononcer sur les pénalités pour manœuvres frauduleuses (art. 1729 CGI). La jurisprudence exige de l'administration qu'elle démontre non seulement l'inexactitude des déclarations, mais aussi l'intention délibérée du contribuable d'éluder l'impôt (Conseil d'Etat, Décision, 2023-10-11, 464351). En l'absence de preuve de manœuvres frauduleuses, le juge peut substituer la majoration de 40 % pour manquement délibéré à celle de 80 % (Conseil d'État, 3ème chambre, 07/03/2022, 449087, Inédit au recueil Lebon).
"En l'absence de preuve de manœuvres frauduleuses, le juge peut substituer la majoration de 40 % pour manquement délibéré à celle de 80 %"
Le fait que le tribunal ait accordé une "satisfaction partielle" peut signifier qu'il a écarté les pénalités les plus lourdes (80 %) pour certaines années, faute de preuve suffisante de l'intention frauduleuse ou de l'activité occulte, tout en maintenant potentiellement des pénalités pour manquement délibéré ou d'autres impositions. Il est à noter qu'aucune jurisprudence fournie ne traite de la majoration spécifique de 25 % (art. 158, 7, 1° CGI), ce qui laisse une zone d'ombre sur l'analyse qu'a pu en faire le tribunal, bien que cette majoration ait fait l'objet d'un dégrèvement administratif en cours d'instance.