Impôts et taxes : Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, 17 septembre 2025, Pourvoi n° 24-11.988

Impôts et taxes : Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, 17 septembre 2025, Pourvoi n° 24-11.988

I. Rappel des faits

Sur la base de présomptions d'agissements frauduleux de la société Europe affaires publiques (EAP), un juge des libertés et de la détention (JLD) a autorisé, par une ordonnance du 6 février 2023, des opérations de visite et de saisie dans les locaux de cette société, en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales (LPF). Ces opérations se sont déroulées le 15 février 2023.

II. Étapes de la procédure et prétentions des parties

La société EAP a contesté la régularité de la procédure en interjetant appel de l'ordonnance d'autorisation du JLD et en formant un recours contre le déroulement des opérations.
Le 5 février 2024, le premier président de la cour d'appel de Douai, statuant en référé, a rejeté les recours de la société EAP par deux ordonnances.
La société EAP a alors formé deux pourvois en cassation contre ces ordonnances. Elle soutenait, dans ses moyens, que la requête initiale auprès du JLD n'avait été présentée que par un seul agent de l'administration fiscale (Mme [M]), alors que l'ordonnance du JLD avait autorisé d'autres agents à procéder aux opérations. Selon la société, un agent habilité ne peut saisir l'autorité judiciaire que pour lui-même et non pour d'autres agents, et le JLD ne peut autoriser que l'agent qui l'a saisi.

III. Présentation de la thèse opposée à celle de la Cour de cassation

La thèse de la société demanderesse reposait sur une conception restrictive de la qualité pour agir de l'agent habilité. Elle postulait qu'un agent de l'administration fiscale, bien qu'habilité à effectuer des visites domiciliaires, ne dispose pas de la qualité pour représenter d'autres agents. Par conséquent, cet agent ne pourrait saisir le JLD que pour obtenir une autorisation à son propre bénéfice. En autorisant d'autres agents qui n'avaient pas sollicité d'autorisation, le JLD aurait excédé ses pouvoirs et violé l'article L. 16 B du LPF.

IV. Problème de droit

Un agent de l'administration fiscale, habilité sur le fondement de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, peut-il valablement saisir le juge des libertés et de la détention d'une demande tendant à autoriser d'autres agents que lui-même à procéder à des opérations de visite et de saisie ?

V. Réponse donnée par la Cour

La Cour de cassation répond par l'affirmative et rejette le pourvoi. Elle énonce qu'il résulte de la combinaison de deux jurisprudences constantes que :
1. Les agents de l'administration fiscale ayant au moins le grade d'inspecteur et habilités ont qualité pour saisir l'autorité judiciaire d'une demande d'autorisation de visite (Cour de cassation - 16 octobre 2019 - 18-12.108).
2. Le juge des libertés et de la détention peut autoriser des agents autres que celui qui présente la demande à procéder aux opérations, pourvu qu'ils remplissent les mêmes conditions de grade et d'habilitation.
La Cour en déduit qu'un agent habilité, ayant qualité pour représenter l'administration fiscale, peut saisir l'autorité judiciaire d'une demande tendant à ce que d'autres agents que lui soient autorisés à effectuer des visites et saisies domiciliaires.

Commentaire de l’arrêt

Cet arrêt de rejet, rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 17 septembre 2025, apporte une clarification bienvenue en matière de visites et saisies domiciliaires régies par l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales (LPF). En confirmant la validité d'une autorisation de visite sollicitée par un seul agent au profit de plusieurs, la Haute Juridiction consolide une jurisprudence pragmatique. Elle réaffirme la portée de la capacité d'action de l'agent requérant (I) pour valider une mise en œuvre collective des opérations de visite sous le contrôle du juge (II).

I. La confirmation de la capacité d'action élargie de l'agent requérant

La Cour de cassation fonde sa décision sur une interprétation extensive de la qualité pour agir de l'agent habilité, en confirmant une solution prétorienne constante (A) et en rejetant une conception purement personnelle de l'habilitation (B).

A. La reconnaissance prétorienne de la qualité pour agir de l'agent habilité

L'arrêt rappelle d'emblée un principe solidement établi : les agents de l'administration des impôts, dès lors qu'ils possèdent le grade d'inspecteur et une habilitation en cours de validité, ont qualité pour saisir le JLD d'une demande d'autorisation de visite. En visant ses propres arrêts de 1989 et 2010, la Cour confirme une jurisprudence qui a toujours reconnu cette prérogative aux inspecteurs habilités (Cour de cassation - 16 octobre 2019 - 18-12.108).
"les agents de l'administration des impôts, dès lors qu'ils possèdent le grade d'inspecteur et une habilitation en cours de validité, ont qualité pour saisir le JLD d'une demande d'autorisation de visite"
Cette qualité pour agir constitue une condition de recevabilité de la requête, dont l'absence est une irrégularité de fond susceptible d'entraîner la nullité de toute la procédure. La jurisprudence a même précisé que la seule présentation de la requête par un inspecteur spécialement habilité suffit, sans qu'il soit nécessaire de justifier d'une décision spéciale pour l'enquête en cause (Cour de cassation, arret, 2005-02-09, 03-86.066). En l'espèce, la qualité pour agir de l'agent requérant (Mme [M]) n'était pas contestée pour elle-même, mais pour la portée de sa demande.

B. Le dépassement d'une conception personnelle de l'habilitation

Le principal apport de l'arrêt réside dans sa synthèse formulée au point 10. La Cour énonce qu'un agent habilité, "ayant qualité pour représenter l'administration fiscale", peut agir au nom de celle-ci pour que d'autres agents soient autorisés. Ce faisant, elle rejette la thèse du pourvoi qui assimilait la qualité pour agir à un droit strictement personnel et intransmissible.
"La Cour énonce qu'un agent habilité, "ayant qualité pour représenter l'administration fiscale", peut agir au nom de celle-ci pour que d'autres agents soient autorisés"
L'agent requérant n'agit pas en son nom propre mais comme mandataire de l'administration. Cette capacité de représentation lui permet de formuler une demande au bénéfice d'autres agents, qui devront eux-mêmes être habilités. La Cour de cassation écarte ainsi une approche excessivement formaliste qui paralyserait l'action administrative en exigeant que chaque membre d'une équipe de vérificateurs soit co-requérant.

II. La validation d'une mise en œuvre collective des opérations de visite et saisie

En validant la requête, la Cour de cassation confirme logiquement l'étendue du pouvoir d'autorisation du JLD (A) et consacre une approche pragmatique et efficace des opérations, tout en la maintenant sous un strict contrôle judiciaire (B).

A. L'étendue corrélative du pouvoir d'autorisation du juge des libertés et de la détention

La décision de la Cour découle directement de sa jurisprudence antérieure, qu'elle cite explicitement : le JLD peut autoriser des agents autres que celui qui a formulé la demande (Com., 5 juillet 1994, pourvoi n° 93-10.737). Cette solution est d'ailleurs conforme à la lettre de l'article L. 16 B du LPF, qui permet au juge d'autoriser "les agents de l'administration des impôts", au pluriel, sans exiger qu'ils soient tous requérants (Livre des procédures fiscales - Article - L16 B).
La jurisprudence des juges du fond allait déjà dans ce sens, admettant que l'ordonnance du JLD puisse autoriser "tous agents de la Direction Générale des Finances Publiques […] spécialement habilités" (CA, bordeaux, 28 janvier 2020, 18/03270) ou encore "les agents de la DNEF-DGFiP désignés aux requêtes" (CA, nimes, 22 novembre 2023, 23/00022). Cet arrêt de la Cour de cassation vient donc clore définitivement le débat en consacrant sans ambiguïté la faculté pour le JLD de désigner une pluralité d'agents sur la base d'une requête unique.

B. La consécration d'une approche pragmatique sous le contrôle du juge

En pratique, cet arrêt valide un mode opératoire efficace pour l'administration fiscale, qui peut organiser des visites d'envergure sans multiplier les démarches procédurales. Il s'agit d'une solution de bon sens, qui reconnaît la nature collective du travail d'enquête.
"cet arrêt valide un mode opératoire efficace pour l'administration fiscale, qui peut organiser des visites d'envergure sans multiplier les démarches procédurales"
Toutefois, cette souplesse ne constitue pas un blanc-seing. Le contrôle du juge demeure la pierre angulaire du dispositif. Si la requête peut être unique, le juge doit toujours s'assurer que *chaque* agent amené à intervenir, qu'il soit requérant ou simplement désigné dans l'ordonnance, remplit les conditions de grade et d'habilitation. L'exigence de régularité de ces habilitations individuelles reste une garantie fondamentale pour le contribuable, dont la violation est sanctionnée par la nullité des opérations, car elle lui fait nécessairement grief (CA, paris, ordonnance, 2025-01-29, 24/03482). L'arrêt du 17 septembre 2025, tout en favorisant l'efficacité de l'action administrative, ne remet donc pas en cause le rôle essentiel du juge comme gardien des libertés face aux prérogatives de l'administration.

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