Maladie professionnelle : Arrêt de la Cour de cassation, deuxième chambre civile, 13 novembre 2025, n° 24-14.597

Maladie professionnelle : Arrêt de la Cour de cassation, deuxième chambre civile, 13 novembre 2025, n° 24-14.597

I. Rappel des faits

Le 30 octobre 2020, un salarié de la société [3] a déclaré une maladie. Après avis d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), la caisse primaire d'assurance maladie de la Meuse (la caisse) a pris en charge cette maladie au titre de la législation professionnelle par une décision du 1er juillet 2021. L'employeur, la société [3], a contesté l'opposabilité de cette décision.

II. Étapes de la procédure et prétentions des parties

- Procédure : L'employeur a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale pour contester la décision de la caisse. La cour d'appel de Nancy, par un arrêt du 13 février 2024, a rejeté le recours de l'employeur et a déclaré la décision de prise en charge opposable à la société. L'employeur a alors formé un pourvoi en cassation.
- Prétentions des parties devant la Cour de cassation :
• L'employeur (demandeur au pourvoi) soutenait que la décision de la caisse devait lui être déclarée inopposable. Il faisait grief à l'arrêt de la cour d'appel d'avoir validé une procédure qui n'avait pas respecté les délais prévus à l'article R. 461-10 du code de la sécurité sociale. Selon lui, il n'avait pas bénéficié d'un délai de 30 jours francs pour consulter et compléter le dossier, ni d'un délai total de 40 jours francs pour présenter ses observations. Il critiquait également l'analyse de la cour d'appel qui avait considéré que les phases de 30 et 10 jours n'étaient pas des délais francs et qu'il n'y avait pas lieu de reporter l'échéance de la première phase si elle tombait un week-end ou un jour férié.
• La caisse (défenderesse au pourvoi) contestait en premier lieu la recevabilité du pourvoi, ce qui a été rejeté. Sur le fond, elle demandait le rejet des prétentions de l'employeur.

III. Présentation de la thèse opposée à celle de la Cour de cassation

La thèse de l'employeur, demandeur au pourvoi, consistait à affirmer que toute irrégularité dans le décompte des délais prévus par l'article R. 461-10 du code de la sécurité sociale, qu'il s'agisse de la première phase de 30 jours ou du délai global de 40 jours, devait entraîner l'inopposabilité de la décision de prise en charge. Cette approche repose sur une interprétation stricte et cumulative des délais, où chaque phase doit être rigoureusement respectée en tant que délai franc, sous peine de vicier la procédure contradictoire dans son ensemble.

IV. Problème de droit

Une irrégularité affectant la première phase de trente jours de la procédure contradictoire prévue à l'article R. 461-10 du code de la sécurité sociale entraîne-t-elle l'inopposabilité de la décision de prise en charge à l'égard de l'employeur, dès lors que ce dernier a pu bénéficier d'un délai effectif de dix jours pour consulter le dossier complet et formuler ses observations ?

V. Réponse donnée par la Cour

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle rappelle, en s'appuyant sur sa jurisprudence antérieure (2e Civ., 5 juin 2025, pourvoi n° 23-11.391), que seule l'inobservation du dernier délai de dix jours avant la fin du délai de quarante jours, au cours duquel les parties peuvent accéder au dossier complet et formuler des observations, est sanctionnée par l'inopposabilité de la décision de prise en charge à l'égard de l'employeur.
En l'espèce, la Cour relève que l'employeur a été informé des différentes phases avant le début de la seconde phase de dix jours. Elle en déduit qu'il a disposé d'un "délai effectif de dix jours pour accéder au dossier complet et formuler ses observations". Par ce motif de pur droit, substitué à ceux, critiqués, de la cour d'appel, elle juge la décision des juges du fond légalement justifiée.

Commentaire d'arrêt

La reconnaissance d'une maladie professionnelle est un enjeu majeur pour l'employeur en raison de ses conséquences sur son taux de cotisation AT/MP. La procédure, particulièrement lorsqu'elle implique un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), est strictement encadrée pour garantir le respect du principe du contradictoire. Par cet arrêt du 13 novembre 2025, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient préciser la portée de la sanction en cas de non-respect des délais procéduraux, confirmant une jurisprudence pragmatique. En effet, elle consacre une hiérarchie dans les irrégularités procédurales (I), ce qui a pour effet de limiter les cas d'inopposabilité et de clarifier les obligations des caisses (II).

I. La confirmation d'une hiérarchie des sanctions dans la procédure contradictoire

La Cour de cassation, par cet arrêt, ne se contente pas de trancher un litige sur le décompte de jours francs ; elle consolide une lecture finaliste du principe du contradictoire. Elle distingue clairement les formalités substantielles des autres, en consacrant une hiérarchie entre les différentes phases de la procédure (A), ce qui aboutit à sanctuariser le délai final d'observation (B).

A. La consécration d'une hiérarchie des sanctions procédurales

Le demandeur au pourvoi s'appuyait sur une lecture formaliste de l'article R. 461-10 du code de la sécurité sociale, arguant que le non-respect du délai de 30 jours pour compléter le dossier suffisait à rendre la procédure irrégulière et la décision inopposable. Cette thèse postule une équivalence entre toutes les phases du délai de 40 jours.
"L'essentiel, pour la Cour, n'est pas le respect formel de chaque étape, mais la garantie effective des droits de la défense"
La Cour de cassation écarte cette analyse en s'appuyant explicitement sur son arrêt du 5 juin 2025 (pourvoi n° 23-11.391). Elle rappelle au paragraphe 8 que « seule l'inobservation du dernier délai de dix jours [...] est sanctionnée par l'inopposabilité ». Ce faisant, elle établit une distinction nette : l'irrégularité affectant le délai initial de 30 jours n'emporte pas les mêmes conséquences que celle qui touche le délai final de 10 jours. Cette hiérarchisation signifie que le respect scrupuleux de la première phase, bien que prévu par les textes, n'est pas considéré comme une condition dont la violation justifierait à elle seule la sanction radicale de l'inopposabilité. L'essentiel, pour la Cour, n'est pas le respect formel de chaque étape, mais la garantie effective des droits de la défense.

B. La sanctuarisation du délai final d'observation de dix jours

La raison de cette hiérarchie réside dans la finalité de chaque phase. L'article R. 461-10, tel que rappelé au paragraphe 7, distingue une première période de 30 jours où les parties peuvent « consulter, [...] compléter » le dossier et une seconde de 10 jours où « seules la consultation et la formulation d'observations restent ouvertes ». La première phase est une phase d'instruction et de constitution du dossier. La seconde, en revanche, est la phase décisive du contradictoire : le dossier est alors complet, et l'employeur peut formuler ses observations en pleine connaissance de tous les éléments qui seront soumis au CRRMP.
En jugeant que seule la violation de ce dernier délai entraîne l'inopposabilité, la Cour de cassation le "sanctuarise". C'est cette période de 10 jours qui matérialise l'ultime et essentielle garantie du contradictoire. Pourvu que l'employeur ait bénéficié d'un « délai effectif de dix jours pour accéder au dossier complet et formuler ses observations » (paragraphe 10), le but de la procédure est atteint. La solution est pragmatique : elle concentre la sanction sur la violation qui porte une atteinte réelle et irrémédiable aux droits de la défense.

II. La portée de la solution : une sécurité juridique accrue et une clarification pédagogique

En adoptant cette solution, la Cour de cassation ne fait pas que rejeter un pourvoi ; elle envoie un signal clair aux praticiens. Cette décision renforce la sécurité juridique pour les caisses (A) tout en offrant, par la technique de la substitution de motifs, une clarification bienvenue sur le raisonnement à tenir (B).

A. Le renforcement de la sécurité juridique au profit des caisses

La solution adoptée limite considérablement les motifs d'inopposabilité que peut soulever un employeur. En invalidant l'argument fondé sur une simple irrégularité dans le décompte du délai initial de 30 jours, la Cour empêche que des erreurs procédurales mineures, n'ayant pas causé de grief réel, ne viennent anéantir les effets d'une décision de prise en charge.
"La solution adoptée limite considérablement les motifs d'inopposabilité que peut soulever un employeur"
Pour les caisses d'assurance maladie, cette jurisprudence est un facteur de sécurité juridique. Leur obligation de vigilance se concentre désormais sur un point critique : garantir l'information de l'employeur et le respect effectif du délai final de 10 jours. Tant que cette condition est remplie, elles sont moins exposées à des contestations fondées sur des calculs d'échéances complexes au début de la procédure. Pour les employeurs, la leçon est claire : leur stratégie contentieuse doit se focaliser sur la démonstration d'une privation de leur droit d'observer le dossier finalisé durant cette période cruciale.

B. La portée pédagogique d'une substitution de motif de pur droit

La Cour de cassation utilise ici la technique de la substitution de motif de pur droit, comme l'y autorise l'article 620 du code de procédure civile. Elle constate que la cour d'appel de Nancy avait probablement commis des erreurs de droit dans son analyse des délais francs, comme le laissaient entendre les griefs du pourvoi. Cependant, au lieu de casser l'arrêt pour une motivation erronée, elle lui substitue son propre raisonnement, fondé sur la jurisprudence de juin 2025.
Cette technique a une double vertu. D'une part, elle permet une bonne administration de la justice en évitant un renvoi inutile, puisque la décision de la cour d'appel était correcte dans son dispositif. D'autre part, elle a une portée pédagogique forte. La Cour de cassation ne se contente pas de dire que la cour d'appel a eu raison ; elle explique le seul raisonnement juridique qui justifie cette solution. L'arrêt devient ainsi un guide précis pour les juridictions du fond, qui savent désormais que l'unique critère pertinent pour apprécier la validité de la procédure contradictoire est le respect effectif du délai final de 10 jours.

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