Pacte Dutreil et holding animatrice : Arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, 17 novembre 2025, n° 24-17.415

I. Rappel des faits
Au décès d’une personne, l'un de ses héritiers a recueilli dans la succession des parts de la société holding MCFG. L’héritier a sollicité l'application de l'exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit prévue par le régime "Dutreil-transmission" (article 787 B du CGI), en soutenant que la société MCFG avait la qualité de holding animatrice. L'administration fiscale a remis en cause cette qualification et a procédé à un redressement fiscal, au motif que les filiales de la société MCFG étaient des sociétés civiles immobilières (SCI) n'exerçant pas d'activité opérationnelle.
II. Étapes de la procédure et prétentions des parties
L'héritier a contesté le redressement fiscal.
La cour d'appel de Paris, saisie du litige, a confirmé la position de l'administration fiscale et a débouté l'héritier de sa demande (CA, Paris, 13 mai 2024, 22/02881). Les juges du fond ont estimé qu'il incombait au contribuable de rapporter la preuve du caractère animateur de la holding et que cette preuve n'était pas rapportée.
L'héritier a alors formé un pourvoi en cassation contre cette décision. Il soutenait implicitement que la société MCFG devait être qualifiée de holding animatrice éligible au dispositif Dutreil.
III. Présentation de la thèse opposée à celle de la Cour de cassation
La cour d'appel a jugé que la société MCFG ne pouvait prétendre à la qualification de holding animatrice au sens de l'article 787 B du CGI. Elle a fondé son raisonnement sur le fait que les sociétés qu'elle animait étaient des sociétés civiles immobilières (SCI) qui « ne constituent pas des filiales opérationnelles ayant une activité commerciale » (CA, Paris, 13 mai 2024, 22/02881). Par conséquent, même si un rôle d'animation était exercé, il ne portait pas sur des filiales éligibles, ce qui empêchait la holding mère de bénéficier elle-même de l'exonération Dutreil.
IV. Problème de droit
Une société holding peut-elle être qualifiée d'« animatrice » au sens de l'article 787 B du Code général des impôts, et ainsi ouvrir droit à l'exonération Dutreil, lorsque les filiales qu'elle anime n'exercent pas elles-mêmes une activité opérationnelle (industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale) ?
V. Réponse donnée par la Cour de cassation
La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle confirme l'analyse de la cour d'appel.
En se fondant sur l'article 787 B du Code général des impôts, la Cour de cassation valide le raisonnement selon lequel la qualification de holding animatrice suppose que celle-ci anime des filiales qui sont elles-mêmes opérationnelles. Le caractère opérationnel (commercial, industriel, etc.) doit être apprécié tant au niveau de la holding (via son rôle d'animation) qu'au niveau des filiales animées. La Cour confirme que l'animation de sociétés civiles à vocation purement patrimoniale ne permet pas de qualifier la holding d'animatrice pour les besoins du régime Dutreil. Elle réaffirme que la charge de la preuve de l'animation effective de filiales opérationnelles pèse sur le contribuable et que les conditions d'éligibilité doivent être remplies à la date du fait générateur de l'impôt, soit au jour du décès en matière de succession.
Commentaire d'arrêt
L’arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 17 décembre 2025 s’inscrit dans la lignée jurisprudentielle clarifiant les conditions d’éligibilité au régime Dutreil-transmission. En confirmant le rejet de la qualification de holding animatrice pour une société détenant des filiales non opérationnelles, la Cour renforce une interprétation stricte des critères légaux (I), tout en consolidant la prévisibilité du droit et la charge probatoire incombant au redevable (II).
I. La confirmation des critères stricts d'éligibilité au régime Dutreil
La Haute Juridiction rappelle avec fermeté les conditions de fond et de temps nécessaires pour bénéficier de l'exonération Dutreil, fermant la porte à une conception extensive de la holding animatrice.
A. L'exigence d'une animation effective de filiales elles-mêmes opérationnelles
L'apport principal de la décision est de lier indissociablement la qualification de holding animatrice à la nature de l'activité de ses filiales. En validant le raisonnement de la cour d'appel qui avait écarté l'exonération au motif que les filiales étaient des SCI non opérationnelles (CA, Paris, 13 mai 2024, 22/02881), la Cour de cassation précise que l'animation, pour être éligible, doit s'exercer sur des sociétés ayant elles-mêmes une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
"L'arrêt commenté ajoute une condition : l'objet de cette animation doit être lui-même opérationnel"
Cette solution s’aligne sur une jurisprudence antérieure qui exige une participation « active à la conduite de la politique du groupe et au contrôle des filiales » (CA, st_denis_reunion, arret, 2025-03-28, 23/01106, CA, Pau, 7 mai 2024, 21/03721). L’animation ne peut être une simple gestion de portefeuille (CA, Grenoble, 5 décembre 2023, 22/00484). L'arrêt commenté ajoute une condition : l'objet de cette animation doit être lui-même opérationnel. Animer des sociétés patrimoniales n'est pas animer un groupe d'entreprises au sens de l'esprit du pacte Dutreil, qui vise à pérenniser la transmission d'outils économiques productifs.
B. Le jour du décès comme point d'ancrage temporel de l'appréciation
En confirmant la ligne jurisprudentielle récente, cet arrêt réaffirme que les conditions d’éligibilité à l’exonération, et notamment le caractère opérationnel de la société, doivent être appréciées à la date du fait générateur de l'impôt (Première recherche). En matière de succession, conformément à l'article 720 du Code civil, cette date est celle du décès.
Cette solution fait écho à des principes bien établis en droit fiscal. Que ce soit pour l'évaluation d'un actif successoral (Cour de cassation, arret, 1996-10-01, 94-19.856) ou pour l'appréciation des conditions d'une exonération à l'ISF (CA, Riom, 16 janvier 2024, 21/02548), le fait générateur de l'impôt cristallise la situation juridique et factuelle à examiner. Toute analyse fondée sur des événements postérieurs ou des projets futurs incertains est donc écartée (CA, Toulouse, 26 mars 2024, 21/04741). Ainsi, la preuve du caractère animateur de la holding et du caractère opérationnel des filiales doit être rapportée pour le jour précis de l'ouverture de la succession.
II. La portée de la décision : renforcement de la sécurité juridique par la continuité
Plutôt qu’un revirement, cette décision s’inscrit dans une logique de continuité jurisprudentielle qui renforce la charge probatoire du contribuable tout en offrant une meilleure prévisibilité aux praticiens.
A. Le poids de la charge de la preuve pesant sur le redevable
L’arrêt rappelle avec force un principe fondamental en matière d'exonération fiscale : la charge de la preuve incombe au contribuable qui sollicite l'avantage. Il doit démontrer que toutes les conditions légales sont réunies (CA, Aix-en-Provence, 14 février 2023, 19/11372, CA, Rennes, 13 février 2024, 20/04906).
"La charge de la preuve incombe au contribuable qui sollicite l'avantage"
En l'espèce, l'héritier devait non seulement prouver que la société MCFG jouait un rôle d'impulsion stratégique, mais aussi que ce rôle s'exerçait sur des filiales éligibles. La preuve doit s'appuyer sur un « faisceau d'indices concrets » (CA, Rennes, 13 février 2024, 20/04906) et ne peut se contenter d'affirmations ou de simples montages juridiques. La jurisprudence exige la démonstration d’une politique de groupe conçue, communiquée et contrôlée par la holding (CA, Rennes, 13 février 2024, 20/04906). Le rejet du pourvoi sanctionne donc logiquement l'insuffisance des preuves apportées par le redevable face à cette double exigence.
B. Une solution de continuité, gage de prévisibilité pour les praticiens
Cette décision du 17 décembre 2025 ne constitue pas un revirement, mais « confirme, plutôt que ne modifie, la ligne jurisprudentielle amorcée en 2022 », notamment par les arrêts des 25 mai 2022 (n° 19-25.513) et 29 novembre 2023 (n° 21-25.329). En stabilisant l'interprétation des conditions relatives à la holding animatrice, la Cour de cassation offre aux praticiens du droit et du chiffre une sécurité juridique accrue.
Les règles sont désormais claires : pour structurer une transmission d'entreprise via une holding sous le régime Dutreil, il est impératif de s'assurer que non seulement la holding anime activement, mais que ses filiales principales sont elles-mêmes des sociétés opérationnelles. Toute structure mixte, mêlant animation de filiales opérationnelles et gestion d’actifs patrimoniaux (immobiliers ou financiers), devra être analysée avec la plus grande prudence, le critère de l'activité prépondérante étant appliqué rigoureusement (CA, Paris, 26 octobre 2020, 19/15261). Cet arrêt constitue donc un guide précieux et un avertissement sans frais pour le conseil en ingénierie patrimoniale.