Redevances transfrontalières : Arrêt du Conseil d'Etat, 30 septembre 2025, N° 490793

Redevances transfrontalières : Arrêt du Conseil d'Etat, 30 septembre 2025, N° 490793

I. Rappel des faits

La société française Lolie a versé en 2014 des redevances à la société néerlandaise The Continuity Group Numeric Photos BV au titre de droits de reproduction de photographies. À la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale française a réclamé à la société Lolie un rappel de la retenue à la source prévue à l’article 182 B du Code général des impôts (CGI) sur ces sommes.

II. Étapes de la procédure et prétentions des parties

La société Lolie a contesté ce redressement, soutenant que les redevances versées à un résident néerlandais étaient exonérées de retenue à la source en France en application de l'article 12 de la convention fiscale franco-néerlandaise. Pour prouver la résidence de la société bénéficiaire, elle a produit des certificats de l'administration fiscale néerlandaise.
Le tribunal administratif de Paris, puis la cour administrative d'appel de Paris dans un arrêt du 8 novembre 2023, ont rejeté la demande de la société Lolie. La société Lolie a alors formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, dont les conclusions relatives à la retenue à la source ont été admises. Le ministre du budget et des comptes publics a conclu au rejet du pourvoi.

III. Présentation de la thèse opposée à celle du Conseil d'État

La cour administrative d'appel de Paris a jugé que la société Lolie ne pouvait pas se prévaloir de la convention fiscale. Elle a estimé que la production de simples attestations de résidence fiscale néerlandaise était insuffisante. Selon la cour, la société Lolie aurait dû établir que la société bénéficiaire avait été « effectivement » soumise à l'impôt sur les sociétés aux Pays-Bas au titre de l'année en litige (`Cour administrative d'appel de Versailles, Décision, 2022-11-15, 21VE00439`, `Cour administrative d'appel de Paris, Décision, 2023-04-21, 20PA03875`).

IV. Problème de droit

Pour bénéficier des stipulations d'une convention fiscale bilatérale exonérant de retenue à la source les redevances versées à un résident de l'autre État, le débiteur doit-il prouver que le bénéficiaire a été *effectivement* soumis à l'impôt dans cet État, ou la preuve de la qualité de résident, notamment par un certificat de l'administration fiscale étrangère, est-elle suffisante ?

V. Réponse donnée par le Conseil d'État

Le Conseil d'État casse l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris pour erreur de droit. Il énonce que « le caractère effectif de la soumission à l'impôt sur les sociétés aux Pays-Bas était sans incidence pour l'application des stipulations de la convention fiscale franco-néerlandaise du 16 mars 1973 »
Par conséquent, la preuve de la résidence fiscale au sens de l'article 4 de la convention, attestée par un certificat de l'administration néerlandaise, est suffisante pour déclencher l'application de l'article 12 de la convention, qui attribue le droit d'imposer les redevances exclusivement à l'État de résidence du bénéficiaire (`Cour administrative d'appel de Paris, Décision, 2023-11-08, 21PA01474`). Réglant l'affaire au fond, le Conseil d'État décharge la société Lolie de la retenue à la source contestée.

Commentaire d'arrêt

L'arrêt rendu par le Conseil d'État le 30 septembre 2025 dans l'affaire *Société Lolie* apporte une clarification attendue sur les conditions d'application des conventions fiscales et, plus précisément, sur la preuve de la qualité de résident. En censurant l'exigence d'une imposition effective posée par les juges du fond, la Haute juridiction administrative renforce la sécurité juridique des transactions internationales. Cette décision précise l'interprétation de la condition de résidence dans le cadre de la convention franco-néerlandaise (I), tout en offrant une portée pratique notable bien que devant être appréciée à la lumière d'autres principes du droit fiscal international (II).

I. La clarification de la condition de résidence dans la convention franco-néerlandaise

Le Conseil d’État recentre le débat sur la lettre de la convention, rejetant une condition ajoutée par les juges du fond (A) et confirmant par là même la valeur probante du certificat de résidence (B).

A. Le rejet de l'exigence d'une imposition effective

Le cœur de l'apport de cette décision réside dans la censure de l'erreur de droit commise par la cour administrative d'appel. Celle-ci avait subordonné le bénéfice de la convention à la preuve d'une imposition « effective » de la société néerlandaise, allant au-delà des stipulations de l'article 4 de la convention (`Article 4 - Version consolidée de la convention avec les Pays-Bas modifiée par la convention multilatérale`). Cet article définit le "résident" comme toute personne "assujettie à l'impôt" en raison de critères de rattachement comme le siège de direction (`CE, 15 avril 2025, 491716`).
"le Conseil d'État opère une distinction fondamentale entre l'assujettissement à l'impôt, et l'imposition effective "
En affirmant que le caractère effectif de la soumission à l'impôt est "sans incidence", le Conseil d'État opère une distinction fondamentale entre l'« assujettissement à l'impôt », qui relève d'une situation de droit (être dans le champ d'application de l'impôt), et l'« imposition effective », qui est une situation de fait (avoir effectivement acquitté un impôt). Cette décision vient donc s'opposer à une lecture restrictive qui aurait complexifié lourdement l'application des conventions. Elle confirme que la seule qualité d'assujetti, au sens de la législation de l'autre État, suffit pour être qualifié de résident conventionnel.

B. La confirmation de la valeur probante du certificat de résidence

En conséquence logique du rejet de l'exigence d'imposition effective, le Conseil d'État valide la force probante du certificat de résidence. En réglant l'affaire au fond, il juge que le "certificat de résidence délivré par l'administration fiscale néerlandaise" suffit à établir que la société bénéficiaire était résidente des Pays-Bas au sens de l'article 4 de la convention (`CA, paris, 30 novembre 2022, 22/05966`).
"le Conseil d'État valide la force probante du certificat de résidence"
Cette solution est conforme à la pratique administrative qui prévoit l'usage de formulaires spécifiques (comme les formulaires n°5000 et 5003) pour attester de la résidence fiscale et bénéficier des exonérations de retenue à la source (`BOI-INT-CVB-NLD`). En validant ce mode de preuve, le Conseil d'État sécurise le recours à un document officiel simple et reconnu, évitant aux entreprises de devoir se lancer dans des démonstrations complexes sur le traitement fiscal effectif de leurs partenaires étrangers, une information qu'elles ne maîtrisent pas toujours.

II. La portée de la décision : entre sécurité juridique et vigilance nécessaire

Si cet arrêt constitue un apport majeur pour la sécurité juridique (B), sa portée doit être analysée avec prudence, car il ne lève pas toutes les incertitudes du contentieux fiscal international (A).

A. Une solution à nuancer au regard d'autres principes et conventions

L'arrêt *Société Lolie* doit être lu en tenant compte de son contexte, celui de la convention franco-néerlandaise. La solution pourrait ne pas être directement transposable à d'autres conventions dont la rédaction différerait. En effet, une jurisprudence antérieure du Conseil d'État concernant la convention franco-allemande (*Versorgungswerk*, 2016) avait jugé qu'une entité exonérée d'impôt en raison de son statut ne pouvait être considérée comme "assujettie" (`Cour de cassation - 03 mars 2015 - 14-10.907`). Cette apparente divergence invite à une analyse au cas par cas de chaque traité.
"cette décision ne doit pas être interprétée comme un blanc-seing écartant tout contrôle"
De plus, cette décision ne doit pas être interprétée comme un blanc-seing écartant tout contrôle. Elle ne se prononce pas sur la notion de bénéficiaire effectif, qui demeure un outil essentiel de lutte contre l'évasion fiscale. L'administration conserve la faculté de refuser le bénéfice d'une convention si le récipiendaire des revenus n'en est que le bénéficiaire apparent, même en l'absence de clause expresse dans la convention (`Cour administrative d'appel de Paris, Décision, 2023-11-08, 21PA01474`). De même, la procédure de l'abus de droit fiscal reste applicable (`Livre des procédures fiscales - Article - L64`).

B. Un renforcement de la sécurité juridique pour les flux de redevances

Malgré ces nuances, la décision constitue un progrès significatif pour la prévisibilité du droit fiscal. En allégeant la charge de la preuve pesant sur le contribuable (`BOI-INT-DG-20-20-20-20`), elle facilite les transactions transfrontalières, notamment le versement de redevances. Elle garantit le plein effet de l'article 12 de la convention franco-néerlandaise, qui attribue une imposition exclusive à l'État de résidence du bénéficiaire (`Article 12 - Version consolidée de la convention avec les Pays-Bas modifiée par la convention multilatérale`).
En pratique, la solution clarifie la hiérarchie des normes : une fois la résidence prouvée conformément aux stipulations conventionnelles, la loi interne (l'article 182 B du CGI) doit être écartée (`BOI-INT-DG-20-20-10`). Pour les entreprises, cela signifie qu'un certificat de résidence en bonne et due forme obtenu de leur partenaire néerlandais suffit, en principe, à justifier l'absence de retenue à la source sur les redevances, simplifiant ainsi la gestion de leurs flux financiers internationaux et réduisant le risque de contentieux avec l'administration fiscale sur ce point précis.

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