Réglementation économique : Arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, 7 octobre 2025, Pourvoi n° 23-86.573

I. Identification de la décision
Pourvois formés par le procureur général près la cour d'appel de Limoges et l'Union française des maréchaux-ferrants ([1]), partie civile, contre un arrêt de la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Limoges du 29 septembre 2023.
II. Rappel des faits
Une personne, Mme [G] [V], accomplissait des actes de parage sur des équidés sans être titulaire du diplôme de maréchal-ferrant. L'Union française des maréchaux-ferrants ([1]) a déposé plainte pour exercice illégal de la profession.
III. Étapes de la procédure et prétentions des parties
- Première instance : Le tribunal correctionnel a requalifié les faits en exercice illégal d'une activité artisanale, délit prévu par l'article 16 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996. Cependant, le tribunal a jugé ce texte contraire à la liberté d'entreprendre (article 102 du TFUE) et a relaxé la prévenue. En conséquence, il a débouté la partie civile de ses demandes.
- Appel : Le ministère public et la partie civile ont interjeté appel. La cour d'appel de Limoges, le 29 septembre 2023, a confirmé la relaxe de Mme [V] en jugeant que l'exigence de qualification professionnelle pour le parage constituait une restriction disproportionnée à la liberté d'entreprendre.
- Cassation : Le procureur général et la partie civile ([1]) se sont pourvus en cassation. La partie civile soutenait notamment que la cour d'appel avait violé le droit national et européen en qualifiant à tort le parage d'acte d'entretien non technique et en écartant l'exigence de qualification professionnelle sans tenir compte de la marge d'appréciation des États et de l'objectif de protection de la santé animale.
IV. Présentation de la thèse opposée à celle de la Cour de cassation
La cour d'appel de Limoges a jugé que l'obligation de détenir une qualification de maréchal-ferrant pour pratiquer le parage équin, imposée par l'article 16 de la loi du 5 juillet 1996, portait une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre. Pour justifier sa décision, elle a affirmé que :
1. Le parage équin est un simple "acte d'entretien" et non un "acte médical", ne requérant pas une "haute technicité".
2. La "plus-value" de la formation de maréchal-ferrant pour le parage n'était pas établie, la mission principale de ce dernier étant le ferrage.
La cour d'appel en a déduit que la restriction à l'activité de parage était excessive au regard de l'objectif d'intérêt général de protection des animaux.
V. Problème de droit
L’exigence d’une qualification professionnelle pour exercer l’activité de parage équin, prévue par le droit national, constitue-t-elle une restriction disproportionnée à la liberté d’entreprendre garantie par le droit de l’Union européenne, ou peut-elle être justifiée par un objectif d’intérêt général de protection de la santé animale ?
VI. Réponse donnée par la Cour
Visa : Vu l'article 30 de la directive 2018/958 du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 relative à un contrôle de proportionnalité avant l'adoption d'une nouvelle réglementation de professions.
La Haute Juridiction affirme que l'exigence d'une qualification professionnelle pour exécuter certaines activités, comme le parage, peut être justifiée par des objectifs d'intérêt général, au nombre desquels figure la santé publique, qui inclut la santé animale.
Elle énonce que le parage est un "acte de soin" et que, par conséquent, l'exigence d'une qualification professionnelle pour le pratiquer est justifiée par l'objectif d'intérêt général que constitue le maintien de la santé des animaux. En qualifiant le parage de simple acte d'entretien, la cour d'appel a commis une erreur d'appréciation.
Commentaire d'arrêt
Cet arrêt de la chambre criminelle du 7 octobre 2025 offre une illustration de l'articulation délicate entre la liberté d'entreprendre, garantie par le droit de l'Union européenne, et les réglementations nationales encadrant l'accès à certaines professions pour des motifs d'intérêt général. En censurant l'analyse d'une cour d'appel qui avait jugé disproportionnée l'exigence de qualification pour le parage équin, la Cour de cassation réaffirme la légitimité de cette restriction au nom de la protection de la santé animale (I). La solution retenue est cependant singulière, la cassation étant limitée aux seules dispositions civiles, ce qui maintient la relaxe pénale tout en ouvrant la voie à une potentielle responsabilité civile (II).
I. La justification de la restriction à la liberté d'entreprendre par la protection de la santé animale
La Cour de cassation censure la cour d'appel pour avoir mal apprécié le test de proportionnalité imposé par le droit de l'Union. Elle le fait en requalifiant la nature de l'acte de parage (A) pour mieux asseoir la légitimité de la restriction au regard de l'intérêt général (B).
A. La requalification du parage : de l'acte d'entretien à l'acte de soin
Le cœur du raisonnement de la cour d'appel de Limoges reposait sur une vision dépréciée de l'acte de parage, qualifié d'« acte d'entretien » ne requérant pas de « haute technicité ». Cette qualification lui permettait de conclure que l'exigence d'un diplôme de maréchal-ferrant était une barrière à l'entrée excessive. La Cour de cassation prend le contre-pied exact de cette analyse. En affirmant que « le parage, qui est un acte de soin », elle lui confère une nature technique et une importance sanitaire qui justifient un encadrement strict. Cette position s'inscrit dans la continuité d'une jurisprudence antérieure qui avait déjà qualifié le parage d'« acte de médecine, voire de chirurgie » réservé aux professionnels qualifiés (Cour de cassation - 15 décembre 2015 - 14-85.161 ; Cour de cassation - 15 décembre 2015 - 14-85.161). En le qualifiant d'acte de soin, la Haute Juridiction renforce l'idée qu'une mauvaise exécution peut porter atteinte à la santé de l'animal, ce qui rend l'exigence de qualification pertinente et nécessaire.
B. La validation du contrôle de proportionnalité au nom de l'intérêt général
En se fondant sur l'article 30 de la directive (UE) 2018/958, la Cour de cassation rappelle que si la liberté d'entreprendre est un principe fondamental, elle n'est pas absolue. Des restrictions sont admises si elles sont justifiées par des « objectifs d'intérêt général ». La Cour énonce clairement que « le maintien de la santé des animaux » constitue un tel objectif. L'apport de l'arrêt est de lier directement la nature de l'acte (un "soin") à la justification de la restriction (la "santé animale").
"la Cour de cassation rappelle que si la liberté d'entreprendre est un principe fondamental, elle n'est pas absolue"
La Cour de cassation ne nie pas la nécessité d'un contrôle de proportionnalité, mais elle reproche à la cour d'appel de l'avoir mal exercé en sous-évaluant l'importance de l'objectif poursuivi. Elle estime que l'exigence d'une qualification (diplôme ou expérience professionnelle de trois ans, cf. Code de l'artisanat - Article - R121-3, Code de l'artisanat - Article - R121-3) est une mesure adéquate et nécessaire pour garantir la protection de la santé des équidés, un objectif légitime au sens du droit de l'Union européenne (Article 7 - DIRECTIVE (UE) 2018/958, Article 3 - RÈGLEMENT (UE) 2005/36).
II. La portée singulière d'une cassation limitée aux intérêts civils
Au-delà du débat sur le fond, la portée de la décision est remarquable par sa technicité procédurale. En ne cassant que les dispositions civiles, la Cour aboutit à une solution dissociant le sort de l'action pénale de celui de l'action civile.
A. Le maintien de la relaxe pénale par l'effet de la procédure
La Cour de cassation déclare d'abord irrecevable le pourvoi du procureur général, formé hors du délai de cinq jours francs alors en vigueur. Cette décision procédurale a une conséquence majeure : elle rend définitive la relaxe de Mme [V] sur le plan pénal. L'autorité de la chose jugée au pénal s'attache à la décision de la cour d'appel en ce qu'elle a écarté la culpabilité de la prévenue. Ainsi, bien que la Cour de cassation désavoue le raisonnement juridique de la cour d'appel, la relaxe pénale est maintenue. Mme [V] ne peut plus être poursuivie ou condamnée pénalement pour les faits d'exercice illégal d'activité artisanale qui lui étaient reprochés.
"bien que la Cour de cassation désavoue le raisonnement juridique de la cour d'appel, la relaxe pénale est maintenue"
B. Le renvoi pour statuer sur l'existence d'une faute civile
La cassation étant limitée aux « seules dispositions civiles », la cour d'appel de renvoi de Poitiers sera uniquement chargée de statuer sur les demandes de dommages et intérêts de la partie civile. Sa mission sera de « rechercher l'existence de fautes civiles à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ». Bien que relaxée au pénal, Mme [V] pourrait être reconnue civilement responsable. La faute civile pourrait résider dans le fait d'avoir pratiqué une activité réglementée sans la qualification requise, causant ainsi un préjudice, notamment moral, aux intérêts collectifs de la profession que l'Union des maréchaux-ferrants a pour mission de défendre. La cour de renvoi devra mener cette analyse à la lumière de l'interprétation de la Cour de cassation : le parage est un acte de soin et l'exigence de qualification est légitime. Cette dissociation illustre le principe selon lequel l'absence d'infraction pénale n'exclut pas nécessairement l'existence d'une faute civile (Cour de cassation, arret, 1991-03-28, 90-81.870).