Saisie immobilière : Arrêt de la Cour de cassation, deuxième chambre civile, 20 novembre 2025, n° 25-70.011

Saisie immobilière : Arrêt de la Cour de cassation, deuxième chambre civile, 20 novembre 2025, n° 25-70.011

I. Rappel des faits

Une banque, titulaire d'un titre exécutoire, a engagé une procédure de saisie immobilière à l'encontre de son débiteur en lui signifiant un commandement de payer valant saisie pour le recouvrement d'une créance déterminée. Au cours de la procédure, la banque a souhaité déclarer une autre créance, distincte de celle mentionnée dans le commandement initial, mais pour laquelle elle bénéficiait également d'une inscription sur l'immeuble saisi, afin d'en obtenir le paiement lors de la distribution du prix de vente.

II. Procédure et prétentions des parties

La banque a délivré un commandement de payer valant saisie immobilière. Le débiteur a formé une contestation, portant la procédure devant le juge de l'exécution du Tribunal judiciaire de Poitiers pour l'audience d'orientation.
Face à une question de droit nouvelle et présentant une difficulté sérieuse, le juge de l'exécution a décidé de surseoir à statuer et de solliciter l'avis de la Cour de cassation, conformément aux articles L. 441-1 et suivants du Code de l’organisation judiciaire.
Prétention du créancier poursuivant (la banque) : Le créancier soutenait qu'il pouvait, dans le cadre de la procédure de saisie immobilière qu'il avait engagée, déclarer une autre créance que celle visée dans le commandement de payer, dès lors que cette nouvelle créance était également garantie par une inscription sur l'immeuble saisi, en vue d'un recouvrement global.
Prétention du débiteur : Le débiteur s'opposait à cette faculté, arguant que la procédure de saisie devait être strictement limitée à la créance figurant dans le commandement de payer initial, et que l'ajout d'une nouvelle créance constituait un abus de droit ou devait entraîner la nullité de la procédure.

III. Thèse opposée à celle de la Cour de cassation

La thèse opposée, portée par le débiteur, consistait à affirmer que le périmètre de la saisie immobilière est immuablement fixé par le commandement de payer. Selon cette thèse, la créance visée à l'article R. 322-18 du Code des procédures civiles d'exécution (CPCE) ne peut être que celle, unique, ayant fondé les poursuites. En conséquence, un créancier poursuivant ne pourrait pas, en cours de procédure, "actualiser" ou "compléter" sa demande en y ajoutant d'autres créances, même inscrites sur le même bien, au risque de vicier la procédure et de porter atteinte à la sécurité juridique du débiteur et des autres créanciers.

IV. Problème de droit

Le juge de l'exécution a saisi la Cour de cassation de la question suivante : un créancier poursuivant, ayant engagé une saisie immobilière pour une créance spécifique, peut-il déclarer une autre créance inscrite sur le même immeuble en vue d'en obtenir paiement dans la même procédure ? Corrélativement, comment doit être interprétée la notion de "créance du poursuivant" que le jugement d'orientation doit mentionner en application de l'article R. 322-18 du Code des procédures civiles d'exécution ?

V. Réponse de la Cour de cassation

La Cour de cassation est d’avis que :
« Aucun texte n'interdit au créancier poursuivant, qui a délivré un commandement de payer valant saisie immobilière pour le recouvrement d'une créance, de déclarer une autre créance, pour laquelle il bénéficie d'une inscription sur l'immeuble saisi, à fin d'en obtenir le paiement à l'occasion de la procédure d'exécution qu'il a engagée ».
La Cour précise cependant que le juge de l'exécution conserve la faculté de « rechercher d'office si une fraude aux droits du débiteur ou des autres créanciers est caractérisée » et, sur contestation du débiteur, doit vérifier l'existence d'un abus de droit qui, s'il est constitué, justifie la mainlevée de la saisie.
Enfin, la Cour clarifie que la « créance du poursuivant visée à l'article R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution » est « celle visée au commandement de payer valant saisie immobilière ».

Commentaire d'arrêt

L’avis rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 20 novembre 2025 apporte une clarification attendue sur l’étendue des créances susceptibles d’être recouvrées par le créancier poursuivant dans le cadre d’une saisie immobilière. Sollicitée par le juge de l’exécution de Poitiers, la Haute juridiction devait se prononcer sur la possibilité pour ce créancier d’ajouter, en cours de procédure, une créance distincte de celle ayant motivé le commandement de payer initial. En répondant par l’affirmative tout en posant des limites claires et en affinant la lecture de l’article R. 322-18 du CPCE, la Cour de cassation opère une synthèse pragmatique entre les intérêts du créancier et la protection du débiteur.
Cet avis permet de clarifier le périmètre de la saisie, en consacrant une souplesse pour le créancier tout en la plaçant sous un strict contrôle judiciaire (I), avant d’analyser la portée de la solution qui redéfinit fonctionnellement la notion de "créance du poursuivant" et l'insère dans le cadre général des principes procéduraux (II).

I. La clarification du périmètre de la saisie immobilière : entre souplesse pour le créancier et protection du débiteur

Par son avis, la Cour de cassation valide une pratique favorable à l'efficacité du recouvrement (A), tout en rappelant avec force le rôle central du juge comme garant contre les éventuels détournements de procédure (B).

A. La consécration d’une faculté d’actualisation des créances pour le poursuivant

L'apport principal de l'avis réside dans l'affirmation selon laquelle « Aucun texte n'interdit » au créancier poursuivant de déclarer une autre créance inscrite. Cette formulation, fondée sur l’absence de prohibition légale, marque une interprétation libérale des textes régissant la saisie immobilière. Elle permet au créancier qui a engagé une procédure longue et coûteuse de ne pas avoir à multiplier les poursuites pour recouvrer d'autres créances bénéficiant d'une sûreté sur le même bien. Cette solution favorise l’économie procédurale et l’efficacité des voies d’exécution.
En autorisant le créancier à déclarer une créance qui n’est pas mentionnée dans l'acte initiateur de la saisie, la Cour de cassation offre une souplesse notable. Elle reconnaît implicitement que la situation financière entre un débiteur et son créancier peut évoluer et qu’il est opportun de permettre au poursuivant de regrouper ses actions pour obtenir un paiement complet lors de la future distribution du prix de vente, à la condition que la créance "ajoutée" soit elle-même inscrite sur l'immeuble.

B. Le maintien des garde-fous judiciaires : le contrôle de la fraude et de l’abus de droit

Cette souplesse n'est pas sans limites. La Cour de cassation érige le juge de l’exécution en rempart contre les dérives potentielles. Elle souligne expressément que le juge peut « rechercher d'office si une fraude aux droits du débiteur ou des autres créanciers est caractérisée » et qu'il doit, sur contestation du débiteur, sanctionner un éventuel « abus de droit » par la « mainlevée de la saisie ».
"En permettant de sanctionner la fraude ou l'abus, l'avis préserve l'équilibre nécessaire entre les droits du créancier et la protection du débiteur"
Ce contrôle judiciaire est fondamental. Il rappelle le rôle actif du juge de l’exécution qui, au-delà du contrôle formel, doit s’assurer que les conditions de la créance sont réunies et que la procédure n'est pas instrumentalisée (Tribunal Judiciaire, 2025-05-06, 24/00259). En permettant de sanctionner la fraude ou l'abus, l'avis préserve l'équilibre nécessaire entre les droits du créancier et la protection du débiteur, mais aussi celle des autres créanciers qui pourraient être lésés par une manœuvre visant à modifier artificiellement l'ordre de la distribution.

II. La portée de l'avis : une redéfinition fonctionnelle de la "créance du poursuivant"

Au-delà de la solution pratique, l'avis offre une grille de lecture subtile de la notion de "créance du poursuivant" en lui attribuant un sens distinct selon le stade de la procédure (A), ce qui permet une articulation cohérente avec les principes directeurs de la procédure civile (B).

A. Une interprétation duale de la créance au sein de la procédure

La Cour de cassation opère une distinction conceptuelle cruciale. D'une part, elle énonce que la « créance du poursuivant visée à l'article R. 322-18 du code des procédures civiles d'exécution » et qui doit figurer dans le jugement d'orientation, est exclusivement « celle visée au commandement de payer valant saisie immobilière ». Cette interprétation stricte préserve la sécurité juridique de l'acte fondateur des poursuites et la clarté du jugement d'orientation, qui fixe le montant retenu pour la créance ayant justifié la vente forcée (Cour de cassation - 08 décembre 2022 - 20-14.302).
D'autre part, la Cour admet que le créancier poursuivant peut déclarer d'autres créances inscrites, non pas pour modifier le jugement d'orientation, mais « à fin d'en obtenir le paiement à l'occasion de la procédure d'exécution ». Ainsi, le créancier poursuivant agit à double titre : comme poursuivant pour la créance du commandement, et comme créancier déclarant (à l'instar des autres créanciers inscrits) pour ses autres créances. Cette dualité résout la tension entre la rigidité du commandement de payer et le droit de tout créancier inscrit à être payé sur le prix de vente.

B. Une articulation cohérente avec les principes directeurs de la procédure civile

Cette solution s’intègre harmonieusement dans le cadre procédural existant. La déclaration d'une nouvelle créance par le poursuivant et les éventuelles contestations qu'elle suscite trouveront naturellement leur place à l'audience d'orientation, moment où le débiteur peut soulever l'ensemble de ses demandes (Cour de cassation - 21 novembre 2024 - 22-12.499). Le principe du contradictoire est respecté, car le débiteur et les autres créanciers sont informés et peuvent débattre du bien-fondé de cette créance additionnelle.
"Cette solution, en distinguant la créance qui fonde la poursuite de celles qui peuvent bénéficier de sa finalité (le paiement), assure une application à la fois efficace et juste du droit de la saisie immobilière"
En confiant au juge le soin de contrôler l'absence de fraude ou d'abus, l'avis renforce la logique protectrice des voies d'exécution. Il réaffirme que la procédure n’est pas un simple mécanisme automatique mais un processus judiciaire encadré, où les droits de la défense et l'équité occupent une place centrale. Cette solution, en distinguant la créance qui fonde la poursuite de celles qui peuvent bénéficier de sa finalité (le paiement), assure une application à la fois efficace et juste du droit de la saisie immobilière.

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