Succession : Arrêt de la Cour de cassation, première chambre civile, 22 octobre 2025, Pourvoi n° 23-18.010

Succession : Arrêt de la Cour de cassation, première chambre civile, 22 octobre 2025, Pourvoi n° 23-18.010

I. Rappel des faits

Par un acte authentique du 1er août 2014, une personne, [X] [J], a reconnu devoir une somme d'argent à M. [M]. Elle est décédée le 16 mai 2015, laissant pour lui succéder son fils adoptif, M. [T] [J], qui était également son légataire universel.
Le 14 novembre 2018, M. [J] a accepté la succession de sa mère à concurrence de l'actif net. Le 29 mars 2020, soit dans le délai légal, M. [M] a déclaré sa créance auprès du notaire en charge de la succession. Le 31 août 2021, M. [M] a fait procéder à une saisie-attribution sur les comptes bancaires de l'héritier, M. [J].

II. Étapes de la procédure et prétentions des parties

Saisi par M. [J], le juge de l'exécution a été amené à se prononcer sur la validité de la saisie-attribution. M. [J] soutenait que la déclaration de créance de M. [M] n'était pas conforme aux prescriptions de l'article 792 du code civil, justifiant ainsi la nullité et la mainlevée de la saisie.
La cour d'appel de Papeete, dans un arrêt du 11 mai 2023, a fait droit à la demande de M. [J]. Elle a ordonné la mainlevée de la saisie, considérant que la créance de M. [M] était prescrite.
M. [M] a alors formé un pourvoi en cassation. Il soutenait que l'article 792 du code civil n'entraîne l'extinction de la créance qu'en cas de défaut de *déclaration* dans le délai de quinze mois, et non en cas de défaut de *notification du titre* dans ce même délai. Ayant déclaré sa créance à temps, il estimait que celle-ci demeurait valide.

III. Présentation de la thèse opposée à celle de la Cour de cassation

La cour d'appel de Papeete a considéré que l'article 792 du code civil impose une formalité particulière pour informer le successible, à savoir la notification du titre exécutoire lui-même lors de la déclaration de créance. Elle a retenu que cette formalité, qu'elle jugeait substantielle, n'avait pas été respectée par M. [M]. Par conséquent, elle en a déduit que la créance était prescrite (éteinte) et a ordonné la mainlevée de la saisie-attribution (arrêt attaqué, § 10).

IV. Problème de droit

L'extinction d'une créance non assortie de sûreté, prévue à l'article 792 du code civil en cas de succession acceptée à concurrence de l'actif net, est-elle encourue lorsque la déclaration de créance a été effectuée dans le délai légal de quinze mois, mais sans que le titre du créancier ait été notifié concomitamment ? Autrement dit, la notification du titre constitue-t-elle une formalité substantielle dont l'omission entraîne l'extinction de la créance ?

V. Réponse donnée par la Cour

La Cour de cassation répond par la négative, et casse et annule l'arrêt au visa des articles 788 et 792 du code civil, applicables en Polynésie française. Elle énonce qu'« il ne résulte pas de ces textes que la notification du titre du créancier constitue une formalité substantielle » (arrêt, § 9).
Elle casse l'arrêt de la cour d'appel en jugeant que dès lors que la déclaration de créance avait été effectuée dans le délai légal de quinze mois au domicile élu de la succession, « peu import[ait] que le titre du créancier n'ait pas été notifié concomitamment » (arrêt, § 11). La cour d'appel a donc violé les textes susvisés en jugeant la créance éteinte pour ce seul motif.

Commentaire d'arrêt

L'arrêt rendu par la Première chambre civile de la Cour de cassation le 22 octobre 2025 apporte une clarification attendue sur le formalisme de la déclaration de créances à une succession acceptée à concurrence de l'actif net. En distinguant la déclaration elle-même de la notification du titre qui l'accompagne, la Cour de cassation assouplit les exigences pesant sur le créancier sans pour autant affaiblir la protection de l'héritier. Cette décision précise ainsi la hiérarchie des formalités prévues par l'article 792 du code civil, en affirmant le caractère suffisant de la déclaration de créance dans le délai légal (I), ce qui permet de réaffirmer un juste équilibre entre la sécurité du créancier et la protection de l'héritier (II).

I. La clarification du formalisme de la déclaration de créance

La Cour de cassation se prononce sur la portée des exigences de l'article 792 du code civil en hiérarchisant les obligations du créancier. Si elle maintient le caractère impératif de la déclaration dans le délai imparti (A), elle réduit la notification du titre à une formalité non substantielle (B).

A. La déclaration de créance dans le délai : une condition essentielle mais suffisante

Le régime de l'acceptation à concurrence de l'actif net impose aux créanciers de la succession de déclarer leurs créances dans un délai de quinze mois à compter de la publicité nationale de l'acceptation par l'héritier (Code civil - Article - 792). Le respect de ce délai est une condition impérative, dont la sanction, l'extinction de la créance non assortie de sûreté, est appliquée avec rigueur par la jurisprudence (CA, agen, arret, 2024-11-06, 22/00889, Cour de cassation, , 2024-12-11, 22-17.867).
Dans l'espèce commentée, le créancier, M. [M], avait bien procédé à sa déclaration le 29 mars 2020, soit dans le délai de quinze mois ayant commencé à courir après l'acceptation de M. [J] du 14 novembre 2018. En affirmant que la cour d'appel n'aurait pas dû exiger davantage, la Cour de cassation fait de la déclaration de créance dans le délai légal la condition non seulement nécessaire, mais également suffisante pour préserver les droits du créancier contre l'extinction. Cette solution confirme que l'objectif principal de l'article 792 est d'informer l'héritier de l'existence et du montant des dettes dans un délai qui lui permet de gérer le passif successoral.

B. La notification du titre : une formalité ramenée à un rôle non substantiel

La nouveauté de l'arrêt réside dans son interprétation de la mention "en notifiant leur titre" figurant à l'article 792 du code civil. La cour d'appel de Papeete y avait vu une formalité substantielle, dont l'omission viciait la déclaration et entraînait l'extinction de la créance.
"La Cour de cassation opère une distinction claire entre l'obligation de déclarer et la modalité de cette déclaration"
La Cour de cassation censure fermement cette analyse. En énonçant qu'« il ne résulte pas de ces textes que la notification du titre du créancier constitue une formalité substantielle » (§ 9), elle opère une distinction claire entre l'obligation de déclarer et la modalité de cette déclaration. La notification du titre, bien que prévue, n'est pas une condition de validité de la déclaration elle-même. La Cour juge qu'il importe seulement que "la déclaration de créance ait été effectuée dans le délai légal" (§ 11), ce qui était le cas en l'espèce. Cette solution pragmatique évite de transformer la procédure en une course d'obstacles pour le créancier, en se concentrant sur la finalité de la règle : l'information de l'héritier sur l'existence de la créance.

II. L'équilibre réaffirmé entre la protection de l'héritier et les droits du créancier

En écartant un formalisme excessif, la Cour de cassation ne sacrifie pas pour autant la protection de l'héritier. La décision permet de sécuriser le droit de poursuite du créancier diligent (A) tout en maintenant les garanties fondamentales offertes à l'héritier acceptant à concurrence de l'actif net (B).

A. La sécurisation du droit de poursuite du créancier

En validant la déclaration de créance de M. [M], l'arrêt préserve son droit d'agir en recouvrement. La créance n'étant pas éteinte, le titre exécutoire dont il disposait (l'acte authentique de reconnaissance de dette) conservait toute sa force. Par conséquent, la saisie-attribution pratiquée le 31 août 2021 était fondée sur un titre valide.
Cette saisie a été engagée bien après l'expiration de la période de suspension des voies d'exécution de quinze mois prévue par l'article 792-1 du code civil. En jugeant la créance valide, la Cour de cassation garantit au créancier, qui a respecté l'exigence principale de déclaration dans les délais, la possibilité de mettre en œuvre les voies d'exécution forcée (Code des procédures civiles d'exécution - Article - L111-2) pour obtenir le paiement de ce qui lui est dû. La solution renforce ainsi la sécurité juridique pour les créanciers face à une succession gérée sous ce régime protecteur.

B. La protection maintenue de l'héritier acceptant à concurrence de l'actif net

Cette décision ne remet pas en cause les protections fondamentales de l'héritier. Premièrement, le délai de forclusion de quinze mois pour déclarer les créances reste un rempart efficace contre les créanciers négligents. Deuxièmement, et surtout, l'héritier acceptant à concurrence de l'actif net n'est tenu au paiement des dettes successorales qu'à hauteur de la valeur des biens qu'il recueille (Code civil - Article - 791). La saisie-attribution, même si elle est valide dans son principe, ne pourra donc s'exécuter que sur les biens de la succession, sans jamais atteindre le patrimoine personnel de M. [J] (CA, rouen, arret, 2025-04-24, 24/03118).
"la solution de la Cour de cassation ne fait que rectifier une interprétation trop rigoureuse de la loi par les juges du fond"
Ainsi, la solution de la Cour de cassation ne fait que rectifier une interprétation trop rigoureuse de la loi par les juges du fond. Elle assure que la procédure de déclaration de créances reste un outil d'information et de gestion du passif, et non un piège procédural susceptible de priver injustement un créancier de ses droits, tout en préservant l'essence du régime de l'acceptation à concurrence de l'actif net.

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