TVA et location meublée : Arrêt du Tribunal administratif de Lyon, 6ème Chambre, 7 octobre 2025, 2310597

TVA et location meublée : Arrêt du Tribunal administratif de Lyon, 6ème Chambre, 7 octobre 2025, 2310597

I. Rappel des faits

Un contribuable exerçant une activité de marchand de biens et de loueur en meublé a fait l’objet d’une vérification de comptabilité. À l’issue de ce contrôle, l’administration fiscale a remis en cause le traitement fiscal de son activité sur deux points principaux. D'une part, elle a contesté la qualification "para-hôtelière" de ses locations meublées au regard de la TVA. D'autre part, elle a imposé la plus-value réalisée par le contribuable en 2017 lors de la cession de trois studios à Lyon, en lui refusant le bénéfice d’une exonération.

II. Étapes de la procédure et prétentions des parties

À la suite d’une proposition de rectification qu’il a contestée via une réclamation préalable restée sans succès, le requérant a saisi le Tribunal administratif de Lyon de trois requêtes, dont la n° 2310597 relative à l'imposition de la plus-value immobilière.
- Prétentions du requérant :
Le requérant sollicitait l’annulation de la décision de l’administration fiscale.
1. Sur le volet TVA, il soutenait que l'article 261 D, 4° b du Code général des impôts (CGI), qui subordonne l'assujettissement à la TVA à la fourniture d'au moins trois prestations para-hôtelières, était incompatible avec la directive 2006/112/CE. Il invoquait une "exception d'inconventionnalité".
2. Sur le volet de la plus-value, il demandait le bénéfice de l'exonération prévue pour les plus-values professionnelles (probablement sur le fondement de l’article 151 septies du CGI), ce qui impliquait que son activité de location meublée soit reconnue comme professionnelle.
- Prétentions du défendeur (l'administration fiscale) :
L’administration fiscale demandait le rejet des requêtes. Elle estimait que l'activité de location du requérant ne remplissait pas les conditions pour être assujettie à la TVA. Par ailleurs, elle considérait le requérant comme un "loueur en meublé non professionnel" (LMNP), notamment au motif que ses recettes annuelles étaient inférieures au seuil de 23 000 € prévu à l'article 155 IV du CGI, le privant ainsi du droit à l'exonération de la plus-value immobilière.

III. Thèse opposée à celle du tribunal

La thèse du requérant reposait principalement sur l'incompatibilité du droit fiscal français avec le droit de l'Union européenne. Il soutenait que le critère mécanique des "trois prestations sur quatre" de l'article 261 D, 4° b du CGI pour assujettir une location meublée à la TVA était contraire à l'article 135 de la directive 2006/112/CE. Selon une jurisprudence récente du Conseil d'État (Conseil d'Etat, Décision, 2023-07-05, 471877), le véritable critère pour écarter l'exonération de TVA est celui de la concurrence potentielle avec le secteur hôtelier, apprécié au cas par cas. Le requérant invitait donc le juge à écarter la loi nationale pour faire prévaloir une analyse matérielle de son activité. Cette qualification pour la TVA devait, dans son raisonnement, emporter des conséquences sur la nature professionnelle de son activité et l'exonération de la plus-value afférente.

IV. Problèmes de droit

Le tribunal administratif devait répondre à une double question :
1. Les dispositions de l'article 261 D, 4° b du CGI, conditionnant l'assujettissement à la TVA des locations meublées à la fourniture de trois prestations spécifiques, doivent-elles être écartées au profit d'une analyse de la concurrence potentielle avec les entreprises hôtelières, conformément au droit de l'Union ?
2. Un contribuable qualifié de loueur en meublé non professionnel, au motif que ses recettes sont inférieures aux seuils légaux, peut-il bénéficier d'un régime d'exonération de plus-value immobilière réservé aux activités professionnelles ?

V. Réponse donnée par le tribunal

Le Tribunal administratif de Lyon a rejeté l'ensemble des conclusions du requérant.
1. Concernant la TVA, le tribunal, se conformant à la jurisprudence du Conseil d'État (Conseil d'Etat, Décision, 2023-07-05, 471877), a procédé à une analyse concrète pour déterminer si l'activité du requérant se trouvait en situation de concurrence potentielle avec les entreprises hôtelières. En rejetant la demande du requérant, le tribunal a implicitement considéré que, même en écartant le critère des trois prestations, les conditions de l'offre de location (durée, services, etc.) ne permettaient pas de caractériser une telle concurrence. L'activité restait donc exonérée de TVA.
2. Concernant la plus-value, le tribunal a appliqué strictement les critères légaux. Ayant constaté que les recettes du requérant étaient inférieures au seuil de 23 000 € fixé par l'article 155 IV du CGI, il a confirmé sa qualification de loueur en meublé non professionnel (LMNP). En conséquence, l'activité ne relevant pas du régime professionnel, le requérant ne pouvait prétendre à l'exonération de la plus-value prévue à l'article 151 septies du CGI. La plus-value relevait donc du régime d'imposition des plus-values des particuliers (articles 150 U et suivants du CGI).

Commentaire d'arrêt

Le jugement rendu par le Tribunal administratif de Lyon le 7 octobre 2025 est une illustration de l'application par le juge du fond d'une jurisprudence récente du Conseil d'État en matière de TVA et de sa stricte adhésion aux critères légaux de qualification fiscale. La décision, qui rejette les prétentions d'un loueur en meublé, met en lumière la complexité de l'articulation entre le droit de l'Union et le droit interne, ainsi que l'étanchéité des qualifications fiscales selon l'impôt considéré. Elle confirme d'abord la méthode du contrôle de conventionnalité en matière de TVA para-hôtelière (I) avant de réaffirmer la rigueur de la qualification du loueur en meublé et ses conséquences sur l'imposition de la plus-value (II).

I. Le contrôle renouvelé de la TVA sur les locations para-hôtelières

Ce jugement s'inscrit dans le sillage direct d'une évolution jurisprudentielle majeure concernant la TVA applicable aux locations meublées. Il illustre la compétence du juge pour écarter la loi nationale (A) et la mise en œuvre du nouveau critère matériel de la concurrence (B).

A. La compétence réaffirmée du juge pour écarter la loi fiscale non conventionnelle

Le jugement constitue une application directe du pouvoir du juge administratif d'opérer un contrôle de conventionnalité de la loi fiscale. En examinant la compatibilité de l'article 261 D, 4° b du CGI avec la directive TVA 2006/112/CE, le tribunal met en œuvre la méthodologie rappelée par le Conseil d'État, qui consiste à interpréter la loi nationale à la lumière des normes supranationales (Conseil d'État, 9ème - 10ème chambres réunies, 28/02/2025, 491788).
Le requérant invoquait à juste titre l'incompatibilité partielle de l'article 261 D, 4° b du CGI avec les objectifs de la directive, telle que consacrée par le Conseil d'État dans sa décision du 5 juillet 2023 (Conseil d'Etat, Décision, 2023-07-05, 471877). Le tribunal ne conteste pas ce principe ; au contraire, il l'applique. Il ne se limite plus au critère formel et quantitatif des "trois prestations sur quatre" mais se livre à une analyse qualitative. Ce faisant, il confirme que le juge de l'impôt n'est pas seulement le "serviteur de la loi" nationale, mais aussi le garant de la primauté du droit de l'Union, quitte à laisser inappliquée une disposition législative interne.

B. La mise en œuvre du critère matériel de la concurrence avec l'hôtellerie

Le cœur de la décision sur le volet TVA réside dans l'application concrète du critère de la "concurrence potentielle avec les entreprises hôtelières". La décision du Conseil d'État du 5 juillet 2023 (Conseil d'Etat, Décision, 2023-07-05, 471877) a substitué à un critère légal rigide une appréciation au cas par cas, redonnant toute sa place au pouvoir d'appréciation du juge.
"les prestations offertes n'ont pas été jugées suffisantes pour le placer en concurrence directe avec un hôtel"
En l'espèce, le rejet de la demande du requérant signifie que, malgré son argumentation, les prestations offertes n'ont pas été jugées suffisantes pour le placer en concurrence directe avec un hôtel. Le tribunal a dû analyser des éléments factuels tels que la durée des séjours, la nature des services effectivement proposés et la clientèle visée. Cette décision montre que si le cadre d'analyse a changé (passant d'un décompte de services à une appréciation économique), le résultat peut rester le même. L'abandon du critère légal n'ouvre pas automatiquement droit à l'assujettissement à la TVA pour tous les loueurs meublés ; il déplace simplement le débat sur le terrain de la preuve et de l'appréciation souveraine des faits par le juge.

II. La qualification rigide du loueur en meublé et ses conséquences fiscales

Le second apport de la décision est de rappeler la distinction stricte entre les régimes fiscaux. Il met en évidence l'étanchéité des qualifications entre la TVA et l'impôt sur le revenu (A), ce qui conduit logiquement au rejet de l'exonération de la plus-value (B).

A. L'étanchéité des qualifications fiscales entre TVA et impôt sur le revenu

Le jugement illustre parfaitement que la qualification d'une activité pour un impôt donné n'emporte pas automatiquement la même qualification pour un autre. Le requérant espérait que la reconnaissance d'une activité "para-hôtelière" pour la TVA (analyse qualitative) lui conférerait le statut de "professionnel" pour l'impôt sur le revenu et les plus-values (analyse quantitative).
"Cette approche objective et légaliste s'oppose à l'analyse économique et subjective menée pour la TVA"
Le tribunal balaie ce raisonnement en appliquant à chaque impôt ses propres règles. Pour la qualification de "loueur en meublé professionnel" (LMP), le critère pertinent est celui, chiffré, de l'article 155 IV du CGI, à savoir le seuil de recettes annuelles de 23 000 €. Cette approche objective et légaliste s'oppose à l'analyse économique et subjective menée pour la TVA. Le jugement souligne ainsi l'absence d'automaticité et la nécessité d'une analyse distincte pour chaque impôt, conformément à la logique structurante du droit fiscal. Une activité peut ainsi être exonérée de TVA car non concurrente de l'hôtellerie, tout en étant considérée comme non professionnelle car générant des revenus insuffisants.

B. Le rejet mécanique de l'exonération de plus-value du loueur non professionnel

La conséquence de cette qualification de "loueur en meublé non professionnel" (LMNP) est implacable. Le régime d'exonération des plus-values professionnelles, notamment celui de l'article 151 septies du CGI, est réservé aux biens inscrits à l'actif d'une entreprise individuelle. Or, pour un LMNP, les biens immobiliers sont considérés comme relevant de la gestion de son patrimoine privé.
"Le régime d'exonération des plus-values professionnelles, est réservé aux biens inscrits à l'actif d'une entreprise individuelle"
Le tribunal applique donc de manière stricte le texte : les revenus étant inférieurs au seuil de l'article 155 IV du CGI, le statut est celui de LMNP. Le bien n'étant pas un actif professionnel, la plus-value de cession est soumise au régime des plus-values immobilières des particuliers (art. 150 U et s. du CGI). Cette solution, bien que rigoureuse, est conforme à la lettre de la loi et à la jurisprudence constante qui exige la mise en œuvre de moyens significatifs pour qu'une activité de location soit considérée comme une véritable entreprise économique (Conseil d'Etat, Décision, 2022-04-19, 442946). Le jugement confirme qu'en l'absence de respect des critères quantitatifs, le loueur en meublé ne peut échapper à l'imposition de sa plus-value.

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