Usurpation de titre : Arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, 9 décembre 2025, n° 24-84.250

Usurpation de titre : Arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, 9 décembre 2025, n° 24-84.250

I. Rappel des faits

Un médecin est poursuivi pour avoir pratiqué des échographies obstétricales sans être titulaire du diplôme spécifiquement requis pour cet acte. Pour exercer, il utilisait un numéro d’identification qui lui avait été attribué à tort. Les faits ont également donné lieu à une action civile de la part des parents d’un enfant né avec un handicap non détecté lors de ces examens.

II. Étapes de la procédure et prétentions des parties

L'affaire a d'abord été jugée par un tribunal correctionnel. Sur appel, la cour d’appel de Pau, dans un arrêt du 30 mai 2024, a déclaré le prévenu coupable du délit d'usurpation de titre et l'a condamné à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis, ainsi qu'au versement d'intérêts civils.

Un pourvoi en cassation a été formé à la fois par le prévenu, qui contestait sa condamnation, et par les parties civiles. Les pourvois ont été joints pour connexité.

III. Thèse opposée à celle de la Cour de cassation

La cour d'appel de Pau a estimé que les éléments constitutifs du délit d'usurpation de titre étaient réunis et a prononcé une condamnation pénale. Elle a également fait droit à la demande d'indemnisation des parties civiles, considérant que les conditions de la responsabilité civile étaient remplies.

IV. Problème de droit

L'usage par un professionnel de santé d'un numéro d'identification pour pratiquer des actes médicaux spécialisés (échographies obstétricales) sans détenir le diplôme correspondant caractérise-t-il le délit d'usurpation de titre prévu à l'article 433-17 du Code pénal ? Par ailleurs, une telle infraction pénale permet-elle aux parents d'un enfant né avec un handicap non décelé d'obtenir réparation sur le fondement de l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles ?

V. Réponse de la Cour de cassation

La Cour de cassation prononce une cassation partielle de l'arrêt de la cour d'appel.

  • - Sur le volet pénal (usurpation de titre) : L'analyse des documents ne permet pas de reconstituer la solution exacte de la Cour sur ce point. Cependant, la Cour contrôle la qualification des faits et l'interprétation stricte de la loi pénale. L'enjeu est de savoir si l'usage d'un titre ou d'un diplôme non détenu, créant une confusion dans l'esprit du public, suffit à caractériser l'infraction (Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 1 avril 2025, 24-82.460, Inédit, par analogie).


  • - Sur le volet civil (indemnisation) : La Cour de cassation rappelle et applique de manière stricte les conditions de l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles. La responsabilité du professionnel vis-à-vis des parents n'est engagée qu'en cas de faute caractérisée. Les parents ne peuvent demander une indemnité qu'au titre de leur seul préjudice, ce qui exclut les charges particulières découlant du handicap de l'enfant, lesquelles relèvent de la solidarité nationale (TA, Nîmes, 31 décembre 2024, 2100649, CA, Aix-en-Provence, 3 novembre 2022, 21/07555, CA, Aix-en-Provence, 2 février 2017, 13/03877). La cassation partielle porte vraisemblablement sur ce volet civil, la cour d'appel n'ayant peut-être pas suffisamment caractérisé la faute ou ayant accordé une indemnisation outrepassant le cadre légal.


- Visa probable de la cassation : Article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles (CASF) et article 433-17 du Code pénal.

Commentaire d'arrêt

L’arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 9 décembre 2025, bien que ne cassant que partiellement la décision des juges du fond, offre une illustration précise de la double dimension, pénale et civile, de l'exercice irrégulier d'une profession de santé. La Haute Juridiction y articule la sanction de l'usurpation de titre avec le régime spécifique de la responsabilité médicale en cas de handicap non décelé.

Il convient d’analyser la manière dont la Cour de cassation combine la qualification pénale de l'usurpation de titre et le régime de la responsabilité civile (I), avant d’examiner la portée de cette décision dans un contexte de protection accrue des professions réglementées et d'encadrement strict de l'indemnisation (II).

I. La double facette de l'exercice irrégulier : entre qualification pénale et responsabilité civile

La décision se déploie sur deux terrains juridiques distincts : la caractérisation de l'infraction pénale d'usurpation de titre (A) et l'application rigoureuse du régime d'indemnisation civile des parents (B).

A. La consolidation de la protection pénale des titres professionnels réglementés

L'arrêt s'inscrit dans le cadre de la protection des professions réglementées par le droit pénal, via l'incrimination de l'usurpation de titre prévue à l'article 433-17 du Code pénal. En l'espèce, le prévenu, bien que médecin, a réalisé des actes spécifiques — des échographies obstétricales — sans posséder le diplôme requis. L'infraction ne réside pas dans un exercice illégal total de la médecine, mais dans l'usage d'une qualité spécifique non détenue.

"L'infraction ne réside pas dans un exercice illégal total de la médecine, mais dans l'usage d'une qualité spécifique non détenue"

Bien que les analyses ne détaillent pas la motivation de la Cour sur ce point, la jurisprudence récente montre une tendance à retenir l'infraction dès lors que l'usage d'un titre est de nature à "créer une confusion dans l'esprit du public" (Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 1 avril 2025, 24-82.460, Inédit). L'utilisation d'un numéro d'identification officiel a manifestement contribué à cette confusion. La décision réaffirme ainsi que la protection pénale s'étend non seulement au titre principal (médecin), mais aussi aux titres attachés à des spécialisations ou compétences réglementées, garantissant la fiabilité des qualifications affichées par les professionnels de santé.

B. Le rappel constant des conditions strictes de l'indemnisation du préjudice parental

Sur le plan civil, la Cour de cassation se fonde sur l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles. La cassation partielle suggère que la cour d'appel a pu faire une application erronée de ce texte. La Haute Juridiction réitère avec fermeté les deux conditions cumulatives pour l'indemnisation des parents :

1. Une faute caractérisée du professionnel doit être prouvée, une simple erreur ou un manquement de faible gravité étant insuffisant (Tribunal Administratif de Limoges, Décision, 2022-10-06, 2000007, Cour Administrative d'Appel de Nantes, 3ème Chambre, 07/06/2012, 10NT02748, Inédit au recueil Lebon).

2. L'indemnisation ne peut couvrir que le "seul préjudice" des parents (préjudice moral, perte de chance d'exercer un choix), à l'exclusion des charges liées au handicap de l'enfant, qui relèvent de la solidarité nationale (TA, Nîmes, 31 décembre 2024, 2100649, CA, Aix-en-Provence, 2 février 2017, 13/03877).

En censurant probablement la décision sur ce point, la Cour rappelle que l'existence d'une infraction pénale n'entraîne pas automatiquement une responsabilité civile selon les termes de ce régime spécial. Elle maintient une frontière nette entre la sanction pénale d'un comportement et les conditions très restrictives de l'indemnisation civile édictées par la "loi anti-Perruche".

II. La portée de la décision : entre clarification procédurale et inscription dans un contexte de sécurité sanitaire

Au-delà de la solution au fond, la portée de l’arrêt se mesure à la clarification qu'il apporte sur l'articulation des actions (A) et à son inscription dans une tendance plus large de renforcement des obligations des professionnels de santé (B).

A. La distinction réaffirmée entre l'action pénale et l'action civile par la cassation partielle

Le mécanisme de la cassation partielle est ici particulièrement éclairant. Il permet à la Cour de cassation de valider la déclaration de culpabilité sur le plan pénal (si tel est le cas) tout en censurant la décision sur les intérêts civils. Cette technique procédurale (Cour de cassation - 24 octobre 2018 - 17-82.413) souligne que la faute pénale (l'usurpation de titre) et la "faute caractérisée" au sens de l'article L. 114-5 CASF sont deux notions distinctes qui ne se confondent pas.

"La décision illustre ainsi l'autonomie des qualifications juridiques et la nécessité pour les juges du fond de motiver séparément et précisément leur décision sur chaque volet, pénal et civil"

La recevabilité et le bien-fondé de l'action civile de la victime devant la juridiction pénale (Cour de cassation, arret, 1987-06-12, 85-12.922) sont soumis à leurs propres règles. En l'espèce, même si le médecin a commis une infraction, les parents ne peuvent obtenir réparation que si toutes les conditions de la loi civile sont remplies. La décision illustre ainsi l'autonomie des qualifications juridiques et la nécessité pour les juges du fond de motiver séparément et précisément leur décision sur chaque volet, pénal et civil.

B. Une solution en phase avec l'exigence croissante de traçabilité et de rigueur professionnelle

Cet arrêt, centré sur l'usurpation d'un titre, résonne avec un mouvement de fond du droit de la santé visant à renforcer la transparence, la sécurité et la traçabilité des actes. Le cadre juridique impose des obligations strictes d'identification du professionnel dans le dossier médical (Code de la santé publique - Article - R1112-3) et de traçabilité des dispositifs utilisés (Code de la santé publique - Article - R5212-40).

Bien que ces textes ne soient pas directement visés, l'infraction commise par le prévenu constitue un manquement grave à cette exigence de rigueur et de transparence. En sanctionnant l'usage d'une compétence non détenue, la Cour de cassation contribue indirectement à renforcer la confiance des patients dans le système de santé, en garantissant que les titres et qualités affichés par les professionnels correspondent à une réalité vérifiée. La décision s'inscrit ainsi dans une logique de protection de la santé publique qui dépasse la seule application de l'article 433-17 du Code pénal.

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